028 - La dette publique.
Du point de vue des réalités concrètes de la vie, une dette s'établit quand quelqu'un a transmis un bien ou rendu un service à quelqu'un sans avoir reçu en retour l'équivalent en biens et/ou services. Dans une société, s'y ajoutent les questions d'aide envers ceux qui élèvent des enfants et de la solidarité normale envers les personnes âgées, les personnes malades et les handicapés. L'État doit aussi assumer la charge de l'administration et des services publics ainsi que des infrastructures de la Nation, dans le périmètre qui a été fixé entre la sphère publique et la sphère privée. Nous ne discuterons pas encore ici d'où devrait se situer la frontière.
Nous avons vu dans le billet n°12 que depuis l'apparition de la monnaie et jusqu'à l'avènement du système bancaire, au XVIIe siècle, la rémunération des services rendus à la cité (Grèce), à l'État, était le moyen par lequel de la nouvelle monnaie était mise en circulation. La notion même de dette publique n'existait alors pas vraiment car la monnaie ne sortait pas de son rôle fondamental de reconnaissance de dette pour un service rendu, dans ce cas par un individu à la collectivité représentée par l'État. Par ailleurs, dans l’Ancien Régime (la royauté d’avant 1789), l’État français pouvait avoir des façons assez particulières de financer ses dépenses.
Avec l'apparition du système bancaire, le monopole de création des billets de banque fut confié à une banque centrale, la banque d'Angleterre (voir billet n°3), la banque de France, etc. et ce sont ces banques qui créaient les lignes de compte pour financer les dépenses de l'État, sans intérêts - et ça n'aurait eu aucun sens dans la mesure où cela restait une dette de la Nation, envers la Nation. Simplement ce n'était plus l'État qui créait lui-même la monnaie pour financer ses dépenses, mais un organe à part, la banque centrale, qui était responsable du contrôle de la quantité de monnaie émise et remboursée.
Jusqu’à le Seconde Guerre mondiale, la dette a largement fluctué, entre une valeur quasi nulle vers 1540 et 1820, jusqu’à 290 % du PIB en 1944. Les endettements les plus forts résultaient souvent du financement de guerres. [1]
Dans l’Ancien Régime, de 1558 à 1788, l’État français a fait défaut 8 fois. Dans tous les cas il s’est agi de moratoires, périodes de suspension des remboursements ouvrant une réduction négociée de la dette, quand ce n’était pas une annulation pure et simple par « fait du prince », équivalente à une extorsion de patrimoine des créanciers (corporations ou banquiers). [1] En ce temps là il y avait en effet de vrais prêteurs derrière une dette ; nous avons vu qu’en France, ce n’est qu’à partir de 1826 que la Banque de France a commencé à émettre des effets papier (voir billet n°3) ouvrant la voie à de la création monétaire ex-nihilo quand il n’y avait pas une vraie richesse (or, etc.) déposée en garanti de l’effet papier émis.
Au moment de la révolution de 1789, la dette de l’État était d’environ 80 % du PIB et résultait essentiellement de l’incapacité de l’Ancien Régime à faire payer l’impôt aux privilégiés. L’instabilité politique qui a suivi la révolution ne se prêtant pas à la collecte de l’impôt, l’État français se retrouva en banqueroute en 1797. Le Directoire prononça alors un effacement des deux tiers de la dette, c’est-à-dire que seul un tiers de la rente fut remboursé aux créanciers. Depuis 1797, l’État français a toujours honoré ses dettes.
Une dette s’exprime en une valeur monétaire. Une dette de 100 restera une dette de 100 quelle que soit l’évolution du pouvoir d’achat de la monnaie. Une façon radicale de réduire la dette est la dévaluation de la monnaie dans laquelle elle a été contractée. Une façon plus naturelle est l’inflation (augmentation des prix) qui diminue elle aussi, mais de manière progressive, le pouvoir d’achat de la monnaie : les prix et les salaires augmentent, mais pas la dette. L’inflation est donc un phénomène économique qui n’est pas aimé du créancier.
À partir de 1945, avec la mise en œuvre du plan Marshall pour reconstruire le tissu industriel de l’Europe, la France a connu une période de forte croissance économique qui a permis de maintenir la dette dans des limites raisonnables.
Avant les années 1970, l’État s’endettait essentiellement pour financer des dépenses exceptionnelles, généralement des dépenses militaires liées à des guerres (construction de la ligne Maginot, guerre d’Indochine, etc.). Le début des années 1970 fut marqué d’une part par des chocs pétroliers et d’autre par la suspension, en 1971, de la parité du dollar américain avec l’or (voir billet n°10) qui entraîna l’adoption généralisée du système flottant dans les échanges internationaux. Ceci provoque une inflation à l’échelle mondiale qui sape le moral des prêteurs (nous venons d’expliquer pourquoi). À cette même période, en France, l’État augmente ses dépenses pour tenter de relancer la machine économique en crise et limiter les désordres sociaux après ceux de mai 1968. C’est dans ces conditions qu’est lancé le 18 janvier 1973 l’emprunt Giscard indexé sur le cours de l’or, ce qui empêchera les finances publiques de profiter de l’importante inflation de la décennie suivante. [1]
En même temps, le 3 janvier 1973 est promulguée la loi dite « Pompidou-Giscard » dont l’article 25 limite la manière dont l’État peut faire tourner la planche à billets – faire tourner la planche à billet c’est favoriser l’inflation qui ne plaît pas aux rentiers. En fait, cet article ne fait que prendre le relai de l’article 13 d’une loi du 24 juillet 1936 [2]. L’article 19 de la loi « Pompidou-Giscard » indique que l’État ne peut obtenir de la Banque de France que des avances et des prêts allant jusqu’à 10,5 milliards de francs à taux 0 et 10 milliards supplémentaires au taux le plus bas du marché. Il précise qu’il suffit de passer devant le parlement pour augmenter le plafond. Mais face à la forte inflation des années 1970 et du début des années 1980, les gouvernements qui se succédèrent, plutôt que de faire jouer cette possibilité d’augmenter le plafond du financement par la Banque de France, préférèrent faire appel aux marchés financiers privés. [2]
Ce n’est que la loi du 4 août 1993, conformément à l’article 104 du traité de Maastricht, qui imposa à l’État français (comme aux autres États européens) de financer entièrement la dette publique auprès des banques privées.
Dans les années 1970, la dette publique se situait à environ 20 % du PIB. Depuis elle n’a cessé de croître pour atteindre de nos jours environ 100 % du PIB. Mais si cette dette avait été financée par une création monétaire sans intérêt via la Banque de France, comme par le passé, elle serait restée stable jusqu’à la crise de 2008 qui ne l’aurait fait augmenter qu’à 30 % du PIB. [3]
La dette publique est aujourd’hui, en 2018, d’environ 2 200 milliards d’euros.
La charge annuelle des intérêts de la dette a culminé à 60 milliards d’euros au moment de la crise de 2008. Ensuite, malgré que le montant de la dette ait continué de croître, la charge des intérêts s’est réduite du fait de la chute des taux d’intérêts sur les nouveaux emprunts jusqu’à environ 42 milliards d’euros en 2017. En 2017, le montant des recettes fiscales au titre de l’impôt sur le revenu a été de 77,6 milliards d’euros. Ainsi, en 2017, malgré des taux d’intérêts sur les nouveaux emprunts au plus bas, 54 % de l’impôt sur le revenu a servi à payer les intérêts aux banques privées auprès desquelles l’État est obligé de se faire financer la dette depuis le traité de Maastricht de 1992. Ceci est stipulé par l’alinéa 1 de l’article 104 :
« Il est interdit à la BCE et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées "banques centrales nationales", d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions ou organes de la Communauté, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autre organismes ou entreprises publics des États membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la BCE ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite. »
L’article 104 du traité de Maastricht a été incorporé tel quel au sein de l’article 123 du traité de Lisbonne (2007). Le texte s’avère aujourd’hui introuvable sur le site du parlement européen ou en tout cas très difficile à localiser par un moteur de recherche. Mais il est cité dans le dictionnaire Sansagent du Parisien [4].
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Dette_publique_de_la_France#Historique_de_la_dette_en_France
[4] http://dictionnaire.sensagent.leparisien.fr/Trait%C3%A9%20de%20Lisbonne/fr-fr/