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Économie scientifique
16 janvier 2020

038 - Les multinationales pharmaceutiques (partie 7 : Des agences nationales de contrôle corrompues).

Suite d’extraits [1].

J’ai le plus grand respect pour le travail des scientifiques consciencieux dans les agences du médicament. Ils ont empêché l’autorisation de plusieurs médicaments inutiles ou nuisibles et ont retiré bien des médicaments du marché. Toutefois, ils travaillent dans un système fondamentalement défectueux dans lequel, le bénéfice du doute est toujours accordé à la protection des intérêts des compagnies et non pas à la protection de ceux des patients.

Un autre problème fondamental est qu’il s’agit d’un jugement de valeur – non d’une question scientifique – de décider qu’un médicament est trop dangereux malgré ses avantages. Que faut-il faire d’un médicament qui tue relativement peu de gens alors qu’il améliore la situation d’une foule de malades ? Il n’existe pas de règle d’or pour éclairer de tels jugements et les régulateurs ne font pas mieux que les citoyens ordinaires pour établir où l’on doit tracer la ligne de démarcation. Malheureusement, les régulateurs ne consultent pas la population ; ils consultent des gens impliqués dans des conflits d’intérêts ; des gens des compagnies qui possèdent le médicament et des spécialistes dont un grand nombre ont des conflits d’intérêts financiers en relation avec les médicaments qu’ils évaluent. Les régulateurs eux-mêmes peuvent avoir des conflits d’intérêts financiers et même quand il n’en ont pas, les avantages découlant d’une décision favorable pourraient se trouver juste à côté, sous la forme d’un poste lucratif dans une compagnie.

[…]

Il y eut d’autres révélations en 2012. Un ancien scientifique de la FDA, Ronald Kavanagh, a parlé des crimes et des méthodes de gangsters à l’Agence :

 

038-A

« … La réponse de la FDA à la plupart des risques attendus est de les nier et d’attendre jusqu’à l’apparition d’une preuve irréfutable, une fois le médicament mis sur le marché et de simplement alors ajouter un avertissement dilué sur l’étiquetage. Quand on soulève des problèmes potentiels de sécurité, le refrain que j’ai entendu à répétition de la part de la haute direction était "où sont les cadavres dans la rue ?". Ce dont je déduisais qu’on ne ferait quelque chose qu’une fois que les journaux en feront un problème. Plus tard, j’ai trouvé que la FDA disposait de documents arrivant à la même conclusion que mon analyse mais qu’ils n’avaient pas été communiqués au comité consultatif… Après que la direction de la FDA a appris que je ne m’étais pas présenté devant le Congrès relativement à certains problèmes, j’ai constaté que l’on était entré par effraction dans mon bureau et qu’on avait détérioré mon ordinateur. J’observais des mouvement étranges du curseur alors que je me trouvais à lire à mon bureau, je les ai soupçonnés de constituer une preuve d’espionnage. Cependant, les menaces peuvent se révéler bien pire. Un dirigeant a menacé mes enfants, qui venaient d’avoir 4 et 7 ans, et à l’occasion d’une grande réunion, je fus traité de "saboteur". En m’appuyant sur d’autres événements et certains dires, j’ai craint d’être assassiné pour m’être adressé au Congrès et à des enquêteurs. J’ai trouvé des preuves de délits d’initiés en relation avec des titres d’une compagnie pharmaceutique reflétant la connaissance d’informations que seule la direction de la FDA pouvait détenir. Je crois disposer aussi de preuves de falsification de documents, fraude, de parjure, de racket étendu comprenant l’intimidation et le châtiment de témoins. »

[…]

Elles [les agences du médicament] ne peuvent réviser qu’une petite fraction des montagnes de documents qu’elles reçoivent. Un exemple extrême, le rapport d’une étude comprenait 8 545 pages, ce qui est mille fois plus que la version publiée. Il est compréhensible que les régulateurs ne lisent la plupart du temps que les résumés…

je n’ai aucun doute que l’industrie inonde délibérément de données les régulateurs. Premièrement, cela réduit le risque que les régulateurs détectent quoi que ce soit qui pourrait, soit empêcher le médicament d’être approuvé, soit nuire aux ventes en raison d’un avertissement devant être mis sur l’étiquette. Ensuite, si des problèmes surgissent, l’industrie peut prétendre qu’elle n’a rien caché et que ce sont les régulateurs qu’il faut blâmer. Bien que cela ne soit pas complètement vrai, ça pourrait fonctionner devant un tribunal.

[…]

Une étude de la suppression de l’arythmie cardiaque… a dû être arrêtée avant terme parce que les deux médicaments actifs, l’encaïnide et le flécaïnide, entraînaient le décès de patients... Au sommet de leur utilisation, à la fin des années 1980, les médicaments anti-arythmiques provoquaient probablement 50 000 morts par an dans les seuls États-Unis, ce qui est du même ordre de grandeur que le nombre total d’Américains qui ont péri pendant la guerre du Vietnam… bien que la FDA eût de sérieuses inquiétudes sur sa sécurité, elle céda aux pressions des compagnies ce qui… mena à ce que le médicament soit largement employé chez les bien-portants qui ont des troubles bénins du rythme…

[…]

Examinons une publicité publiée dans les premières pages du JAMA du 19 septembre 2012. On pouvait lire : « Essayez le LIVALO pour abaisser le LDL-C et améliorer les autres paramètres des lipides. »

Ce n’est pas le motif pour lequel on pourrait envisager la possibilité de prendre une statine, n’est-ce-pas ? On souhaiterait la prendre pour réduire le risque de mourir et non pour améliorer certaines valeurs de laboratoire. Peut-on être certain qu’une statine particulière réduit le risque de mourir ? Non, on ne le peut pas parce que les statines sont approuvées selon leurs effets sur les lipides du sang. Le LIVALO pourrait réduire le risque de mourir de maladie cardiaque, mais il pourrait aussi augmenter le risque de périr d’autres causes, de sorte qu’on ne peut pas savoir ce que sont ses chances avec ou sans LIVALO.

[…]

Le cisapride (Propulsid de Johnson & Johnson) était censé provoquer la vidange gastrique, mais il n’est plus sur le marché parce qu’il cause des arythmies cardiaques qui tuent des gens… Quand la FDA convoqua une réunion publique en 2000, un cadre de la compagnie reconnut que l’on n’avait pas pu montrer que le médicament est efficace. Une fois encore, l’insuffisance régulatrice allait résulter en tragédies pour des gens bien réels.

Vanessa était une fille bien portante. Elle ne buvait pas, ne fumait pas, ni ne prenait de médicaments – avec une exception : au cours de la dernière année elle avait pris périodiquement du cisapride, un médicament pour traiter les régurgitations acides… Son médecin, qui lui avait diagnostiqué une forme légère de boulimie, le lui avait prescrit après qu’elle se soit plainte de régurgitations et de ballonnements après les repas. Ni le médecin ni le pharmacien n’ont mentionné les risques. Le 19 mars 2000 le père a vu sa fille de 15 ans choir sur le plancher du domicile. « On l’a amenée rapidement à l’hôpital où elle décéda le jour suivant d’arrêt cardiaque. » Cinq mois plus tard, le médicament fut retiré du marché mais il était trop tard pour Vanessa.

À cause de la perte de sa fille, le père se lança en politique et fut élu au Parlement du Canada parce qu’il souhaitait changer la régulation des médicaments… « Le ministre des transports ne négocie pas avec les camionneurs pour retirer les véhicules dangereux de la voie publique », dit-il… Autoriser d’une manière accélérée l’accès au marché des médicaments est comme ordonner aux aiguilleurs du ciel de faire atterrir las avions plus rapidement. Onze ans après l’enquête sur le décès de sa fille, aucune de ses principales recommandations de réforme n’avait été mise en place.

[…]

L’histoire des pilules amaigrissantes est terrible et confirme que les régulateurs des médicaments ne sont pas disposés à apprendre de l’histoire. Le phentermine - approuvé aux États-Unis en 1959 et qui se trouve toujours sur le marché ; l’aminoxaphène (Aminorex) – qui était très populaire en Europe ; le fenfluramine (Pondimin) – 1973-1997 ; le dexfenfluramin (Redux) – années 1990 – sont des médicaments qui causent de l’hypertension pulmonaire et peuvent également provoquer une forme grave de sclérose des valves cardiaques qui tue aussi les gens…

Quand le nombre de cas d’hypertension pulmonaire s’est mis à augmenter rapidement, les médecins de la FDA ont tenté de persuader Wyeth/Interneuron [le fabricant du Redux] d’ajouter une alerte de type encadré noir sur l’étiquette. Au lieu de le faire, ils ajoutèrent une mention disant que le Redux pouvait occasionner une perte de cheveux, problème qui avait signalé plus rarement que l’hypertension pulmonaire.

[…]

L’hypertension pulmonaire est une maladie terrible dont les symptômes peuvent apparaître après une semaine de traitement. Elle est systématiquement fatale avec une durée de survie moyenne qui est plus courte que celle de plusieurs cancers et des symptômes qui évoquent la strangulation et la noyade. La maladie valvulaire est aussi ravageuse. Au moment des recours collectifs, on estimait à 45 000 le nombre des femmes qu’on croyait avoir eu l’une des deux maladies, avec une mortalité du même ordre de grandeur.

 

038-B

Comment se fait-il que l’on continue à autoriser pareils médicaments compte tenu de leur histoire ? Pourquoi le benfluorex (le Mediator de Servier), qui ressemble au fenfluoramine sur le plan de sa structure chimique et qui entraîne les mêmes effets nocifs, ne fut-il retiré du marché européen qu’en 2009 alors que le Pondimin fut retiré en 1997 ? …

[…]

Les spécialistes de l’obésité ont défendu les pilules amaigrissantes depuis le début en disant que le risque de mourir prématurément à cause des médicaments était équilibré par le fait que même une petite perte de poids [il ne faut pas en attendre plus des pilules amaigrissantes] dans une grande population sauve plus de vies que celles que l’on a perdues… Même s’il s’avérait que cet argument soit vrai, il existe une énorme différence entre le fait d’être tué à petit feu par un médicament induisant des souffrances atroces et un avantage à l’échelle d’une population… Si nous souhaitons réduire le nombre de gens qui meurent des suites de l’obésité, c’est à l’industrie alimentaire qu’il faut d’abord s’adresser.

[1] Remèdes mortels et crime organisé – Comment l’industrie pharmaceutique a corrompu les services de santé ; Peter C. Gotzsche, traduction de Fernand Turcotte, 2015 ; Presses de l’université Laval ; pp. 151-209.

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