Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Économie scientifique
19 février 2020

041 - Les multinationales pharmaceutiques (partie 10 : La psychiatrie et le Prozac).

Suite extraits de [1].

041-A

… Les fausses représentations commencent déjà avec le nom [les pilules du bonheur]. Le terme « inhibiteur sélectif de la réabsorption de la sérotonine » (ISRS) a été inventé par SmithKline Beecham qui ont fusionnés en 2000 en la société GlaxoSmithKline. Malheureusement, il s’agit du nom scientifique officiel de cette classe de médicaments, bien qu’ils n’aient rien qui soit particulièrement sélectif ; ni spécifique non plus. La plupart des substances affectant le cerveau, alcool y compris, sont probablement capables d’avoir sur la dépression un effet semblable à celui des ISRS, et l’alprazolam, par exemple, une vieille benzodiazépine, est meilleure que le placebo et aussi efficace que les antidépresseurs tricycliques, des médicaments meilleurs que les ISRS.

… L’effet le plus marqué de ces pilules est de dérégler la vie sexuelle. Un scientifique de la FDA a trouvé que les compagnies ont caché les problèmes sexuels en blâmant les patients plutôt que le médicament, comme on a nommé « trouble génital féminin », l’impossibilité d’atteindre l’orgasme. Les compagnies ont prétendu que 5 % des patients souffraient de troubles sexuels, ce qui est le dixième de la véritable occurrence. Dans une étude conçue pour élucider ce problème, des troubles sexuels sont survenus chez 59 % de 1 022 patients qui avaient tous une vie sexuelle normale avant de commencer un traitement aux antidépresseurs. Les symptômes comprenaient une réduction de la libido, le retard de l’orgasme et de l’éjaculation, l’absence d’orgasme et d’éjaculation et la dysfonction érectile, tous à un taux élevé et avec une faible tolérance pour 40 % des patients. Certains patients baillaient pendant l’orgasme ce qui n’est pas la manière la plus fantastique de construire une relation intime. Ces problème ont été ignorés parce que les patients n’aiment pas en parler à leur médecin.

[…]

Le premier ISRS a été la fluoxétine (Prozac). Ila été introduit sur le marché en 1988 par Lilly…

Pour survivre, Lilly était déterminé à faire du Prozac un succès et pour réaliser ce projet, il était primordial que le Prozac soit autorisé en Suède, ce qui faciliterait son approbation par la FDA…

Virapen [le directeur exécutif pour la Suède], qui estimait que l’avenir de sa carrière chez Lilly dépendait de l’approbation du Prozac, a résolu son problème par la corruption. Il lança des études de familiarisation avant que le médicament soit autorisé et invita des médecins aux Caraïbes pour une semaine de détente incluant « plongée, surf, voile jolies filles et soirées animées »…

[…]

Après avoir rendu d’aussi grands services à Lilly, Virapen fut congédié. Cela ressemble aussi aux méthodes du crime organisé… L’explication officielle était que Lilly avait certains principes éthiques ! …

Eli Lilly fit la promotion illégale du Prozac pour plusieurs afflictions ne faisant pas partie des indications autorisées, comme la timidité, les troubles de l’alimentation et le manque d’estime de soi, tout en camouflant l’augmentation du risque de suicide et de violence associée au médicament…

[…]

… Lilly était préoccupé d’éliminer le mot « suicide » de son registre des effets indésirables éprouvés par les patients et le bureau chef a suggéré que lorsqu’il arrive qu’un médecin signale à Lilly une tentative de suicide alors que le patient est sous Prozac, on code ce signalement comme une « surdose »… et « les idées suicidaires » comme « dépression » (blâmer la maladie et non le médicament)…

Un des documents reçus par le BMJ [British Medical Journal] révélait que dans les études cliniques, 38 % des patients traités avec le fluoxétine signalaient des poussées d’agitation par comparaison avec 19 % pour les patients traités au placébo. Les ISRS suscitent souvent de l’agitation ou akathisie, une forme extrême d’agitation que certains patients décrivent comme une impulsion à sortir de sa peau, ce qui aggrave le risque de suicide...

En 2004, la FDA a publié un avertissement signalant que les antidépresseurs pouvaient provoquer des ensembles de symptômes d’agitation ou de stimulation comme des attaques de panique, de l’insomnie et de l’agressivité. De tels effets étaient attendus parce que la fluoxétine est semblable à la cocaïne dans ses effets sur la sérotonine. Par contre, il est intéressant de constater que lorsque l’EMA [European Medecines Agency] a continué en 2000 à nier que la consommation des ISRS conduise à la dépendance, elle ait quand même déclaré que les ISRS « avaient fait la preuve de pouvoir réduire la consommation de produits toxicomanogènes comme la cocaïne et l’alcool…

En1989, un homme tua par balle huit personnes et en blessa 12 autres avant de se tuer, un mois après avoir commencé un traitement à la fluoxétine. Lilly obtint un verdict en sa faveur de 9 contre 3 jurés et prétendit par la suite qu’il « avait été prouvé devant un tribunal que le Prozac est efficace et sécuritaire ». Pourtant, le juge qui avait présidé le procès soupçonnait une magouille et il poursuivit Lilly et les pétitionnaires, contraignant Lilly à reconnaître qu’il avait obtenu un arrangement secret avec les plaignants, pendant le procès. Indigné par les actions de Lilly, le juge ordonna que l’on change le verdict favorable à Lilly en un verdict de « renvoi avec préjudice selon lequel Lilly avait cherché à acheter non seulement le verdict mais aussi le jugement de la cour ».

[…]

041-B

En 1997, le Prozac était le cinquième médicament le plus fréquemment ordonnancé aux États-Unis. Il devint aussi le médicament soulevant le plus de plaintes et l’on déclara des centaines de suicides. Au sujet des poursuites, David Healy a trouvé des brouillons de feuillets insérables dans les emballages mentionnant qu’une psychose pourrait être déclenchée, chez les patients vulnérables, par un traitement aux antidépresseurs. Il en ressortit que Lilly savait depuis 1978 que le Prozac peut conduire certaines personnes à un état d’esprit étrange capable de les inciter à commettre des meurtres et au suicide, dans une poussée impossible à contenir. L’avertissement concernant l’induction de la psychose n’a pas été inclus dans la version finale de l’avertissement distribué aux États-Unis alors que l’agence allemande du médicament l’a exigé. Dès 1999, la FDA avait reçu le signalement de plus de 2 000 suicides associés au Prozac…

Lilly a aussi caché au public les suicides réussis. En 2004, une collégienne de 19 ans a été trouvée pendue avec un foulard dans une douche d’un laboratoire d’Indianapolis dirigé par Lilly. Elle avait accepté de participer à une étude clinique comme volontaire bien portante pour l’aider à payer ses frais scolaires, une fois qu’elle eut réalisé un examen médical détaillé pour écarter l’éventualité d’un état dépressif ou des tendances suicidaires. Elle n’avait pas pris du Prozac, mais un autre ISRS, la duloxétine (Cymbalta), que Lilly souhaitait mettre au point pour l’incontinence urinaire à l’effort. Quand des chercheurs et la presse commencèrent à poser des questions à propos de la duloxétine, la FDA n’a pas parcouru son registre ni fait de déclaration publique. Elle s’est tue et a expliqué son silence par une rationalisation juridique :

« Certaines données cliniques sont tenues pour être des secrets industriels ou des informations commerciales protégées. »

[...]

Il n’est pas exagéré de dire que la recherche sur les antidépresseurs est totalement contrôlée par l’industrie pharmaceutique ; elle fournit de la pseudoscience randomisée à des marchés multimilliardaires… L’amélioration mesurée sur l’échelle la plus communément utilisée, l’échelle dépressive de Hamilton, est si faible que les médicaments ne semblent avoir un effet significatif que chez las patients gravement déprimés, qui ne constituent qu’une petite fraction de tous ceux que l’on traite en clinique…

Il serait bien préférable d’encourager les gens à faire de l’exercice plutôt que de consommer des médicaments. Il n’existe que quelques études de longue durée comparant les ISRS avec l’exercice, mais elles sont intéressantes. Dans une étude de 4 mois de 156 patients souffrant de dépression majeure, l’effet était comparable chez ceux qui avaient été assignés par randomisation à l’exercice et ceux que l’on avait traités à la sertraline (Zoloft), mais six mois plus tard, il n’y avait plus que 30 % des patients assignés à l’exercice qui étaient toujours déprimés par comparaison à 52 % du groupe assigné à la sertraline et à 55 % d’un groupe qui avait été assigné à un traitement combinant l’exercice et la sertraline. Ces différences sont apparues en dépit de la faiblesse du contraste entre les régimes thérapeutiques : 64 % des patients assignés à l’exercice et 66 % de ceux assignés au traitement combiné ont signalé avoir continué l’exercice tandis que 48ù des patients assignés à la sertraline s’étaient aussi mis à l’exercice. Une révision de l’exercice par la Collaboration Cochrane (voir billet 33) a trouvé un effet sur la dépression semblable à celui que l’on attribue aux ISRS.

Une étude randomisée de 24 semaines sur 375 patients souffrant de phobie sociale a montré qu’une exposition graduelle au contexte déclenchant les symptômes avait le même effet que le traitement à la sertraline. Après un allongement de six mois de la période de suivi, le groupe assigné à l’exposition graduelle a continué de s’améliorer alors que ce ne fut pas le cas pour les patients assignés à la sertraline. La phobie sociale était une maladie rare jusqu’à ce que les compagnies pharmaceutiques s’en emparent et la baptise trouble d’anxiété sociale. Elles augmentèrent grandement leurs ventes, aidées par les firmes de relations publiques et leurs laquais parmi les psychiatres et les organisations de patients. Le bassin de patients s’accrut de 2 % à 13 %, c’est-à-dire une personne sur huit – avec la gracieuse collaboration des critères ridicules du DSM qui s’élargissent sans cesse.

[1] Remèdes mortels et crime organisé – Comment l’industrie pharmaceutique a corrompu les services de santé ; Peter C. Gotzsche, traduction de Fernand Turcotte, 2015 ; Presses de l’université Laval ; pp. 281-290

Publicité
Publicité
Commentaires
Économie scientifique
Publicité
Archives
Newsletter
Économie scientifique
Publicité