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Économie scientifique
29 janvier 2021

065 - La corruption de la science.

L’époque où un savant pouvait faire avancer la connaissance assis sous un pommier (Isaac Newton) ou bien en faisant chauffer de l’eau dans un cylindre de fonte (Denis Papin), par exemple, est aujourd’hui révolue. À présent les axes de recherche fondamentale, appliquée et finalement les progrès technologiques nécessitent des financements importants et la recherche est subordonnée aux choix de ceux qui peuvent attribuer ou pas ces financements. C’est ainsi que la science s’en trouve corrompue. L’idée du chercheur, pour se concrétiser, doit passer au crible des intérêts d’un système financier qui est plus préoccupé par les profits que par l’intérêt général et les progrès de la connaissance humaine.

Au-delà du cas emblématique des études cliniques et revues médicales qui a été développé dans les billets n°031 à 046, ce sont la plupart des disciplines scientifiques qui sont touchées par la corruption.

Les extraits suivants tirés de l’ouvrage La Médiocratie du philosophe canadien Alain Deneault offrent une analyse et un exemple concret sur le sujet.

065

« Le journaliste états-uniens Chris Hedges y va sans détour : les universitaires sont responsables de nos maux historiques. Pour la plupart coupés du monde, spécialistes de sous-domaines infinitésimaux, devenus incapables de conscience critique, avalés par les tactiques d’avancement de carrière et enfermés dans une appartenance collégiale qui a les allures d’une "tribu", leur présence se découvre sitôt que l’on sonde les raisons de nos périls collectifs. La crise écologique en progression, les inégalités des revenus menant à des exclusions à une échelle nationale et mondiale, la dépendance aux énergies fossiles, la surconsommation et l’obsolescence programmée, le renversement de la culture en une industrie du divertissement, la colonisation de l’esprit par la publicité, la prédominance du système financier international sur l’économie ainsi que l’instabilité du dit système, par exemple, sont autant de problèmes qui trouvent leur cause dans des recherches et formations développées par les institutions universitaires. Les laboratoires, facultés et départements universitaires forment en effet "l’élite" en cause. N’est-ce pas en vertu de savoirs acquis ou développés à l’université, dont d’imposants diplômes rendent compte, que décideurs et personnel de pointe façonnent et modélisent le monde dans lequel nous vivons ? Il y a lieu de s’en inquiéter, insiste Hedges dans L’empire de l’illusion, car "les universités d’élite ont renoncé à toute autocritique. Elles refusent de remettre en cause un système n’ayant que son maintien pour raison d’être. Dans ces institutions, il n’y a que l’organisation, la technologie, la promotion personnelle et les systèmes d’information qui comptent". L’université est devenue une composante du dispositif industriel, financier et idéologique contemporain, ni plus ni moins. C’est en ce sens qu’elle se réclame de "l’économie du savoir" à laquelle elle se targue de participer. Les entreprises voient alors l’université leur fournir le savoir de pointe et le personnel qu’elles requièrent, et ce, à partir de fonds publics…

… Le recteur de l’Université de Montréal l’a affirmé sur le ton de l’évidence à l’automne 2011 : "Les cerveaux doivent correspondre aux besoins de l’entreprise." » [1]

« Une firme de communication comme Edelman… propose à sa partenaire, la société TransCanada, gestionnaire d’un oléoduc devant traverser le Québec, d’établir un plan de communication destiné à rendre son projet acceptable aux yeux de la population concernée. Les stratèges d’Edelman conseillent alors à TransCanada de financer une université québécoise afin que ses chercheurs qualifient le projet d’inoffensif d’un point de vue écologique…

… Les universités demeurent une carte maîtresse pour les firmes de lobbyisme… C’est à tort que l’on réduit cette activité au seul démarchage auprès d’élus pour les inciter à voter dans un sens ou dans un autre. Ces spécialistes de l’opinion travaillent beaucoup plus largement à générer les conjonctures qui vont contraindre les élus, sans même qu’ils aient nécessairement à les interpeller, à orienter leurs choix dans un sens ou dans un autre. Pour travailler le réel lui-même, les lobbyistes cherchent à fabriquer un climat favorable à leurs intérêts, par exemple en mobilisant publiquement les "experts »" que l’industrie finance…

En ce qui concerne l’enjeu du pipeline au Québec, Edelman a proposé à TransCanada de suivre en détective la trace des écologistes opposés à son projet, éventuellement de les discréditer au vu d’informations de nature financière ou judiciaire qu’elle découvrirait sur leur compte, tout en l’invitant à organiser de toutes pièces des manifestations populaires propétrole dont elle financerait directement les "militants »". Elle a aussi avancé l’idée de rétribuer une horde d’internautes chargés d’invertir les médias sociaux pour que son message y soit relayé. » [2]

Plus loin dans son livre, Alain Deneault synthétise de manière éclairée le fond du sujet :

« … On nous invite à gérer le savoir du temps présent comme gage d’auto-persuasion que tout reste sous contrôle. Le savoir, le seul qui compte parce qu’il se subventionne, reconnu par les pairs et complices, étaie l’empirie. Ce savoir officiel confère aux structures le sens attendu des puissants – bailleurs de fonds – comme un fait de nature, afin que par ce mortier sémantique s’ordonnent et tiennent dans la tête des institutions d’autorité. Tout est fait pour qu’aucune rupture de ton n’advienne, sinon dans l’utopie rêveuse d’intellectuels égarés. » [3]

[1] La médiocratie ; Alain Deneault, 2015, Lux éditeur ; pp. 19-22.

[2] Ibid ; pp. 26-28.

[3] Ibid ; pp. 191-192.

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