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Économie scientifique
8 juillet 2021

077 - L’empreinte écologique.

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Le concept d’empreinte écologique a été introduit en 1992, par William E. Rees (1943-), professeur de planification et de ressources écologiques à l’université de Colombie britannique à Vancouver.

Dans son article [1] de 1992, William E. Rees définit l’écologie comme « l’étude scientifique des écoulements des ressources d’énergie et de matières premières à travers les écosystèmes et de l’évolution des mécanismes concurrentiels et coopératifs visant à allouer des ressources parmi différentes espèces ». En quelque sorte, ainsi définie l’écologie est le pendant de l’économie scientifique pour les écosystèmes.

Rees écrit que « les écologistes définissent la capacité de charge (carrying capacity) comme la population d’une espèce donnée qui peut être indéfiniment supportée dans un habitat donné sans endommager durablement l’écosystème dont elle dépend ». De la même manière qu’en économie le taux de production de richesse-énergie dépend du capital productif disponible, en écologie la capacité de charge dépend de ce qui est désigné par le terme de « capital naturel ».

Rapportée à l’espèce humaine, Rees interprète la capacité de charge comme : « Le taux maximal de consommation de ressources et de rejet de déchets qui peut être indéfiniment maintenu dans une région donnée sans progressivement dégrader l’intégrité fonctionnelle et la productivité des écosystèmes concernés. La population humaine correspondante est une fonction des taux par individu de consommation de ressource et de production de déchets. » En pratique la question se pose bien sûr via l’inverse de la capacité de charge, c’est-à-dire en terme de capital naturel nécessaire. « Plutôt que de se demander quelle population une région particulière peut durablement supporter, la question devient : "De combien des différentes catégories de terre est-il nécessaire pour supporter indéfiniment la population de la région à un niveau de vie matérielle donné ?" »

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C’est supervisé par William E. Rees qu’un doctorant venu de Suisse, Mathis Wackernagel, a développé le concept d’empreinte écologique, ou capacité de charge appropriée, dans une thèse soutenue en 1994 à l’université de Colombie-Britannique. [2]

En introduction, il rappelle la définition attribuée par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement des Nations Unies à ce qu’elle a nommé le développement durable : « un développement qui satisfait les besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins ». Sur cette base il fixe le cadre de son travail vers la réorientation de l’impératif de développement de l’économie conventionnelle consistant à maximiser la production vers la minimisation de la souffrance humaine actuelle et future. « Ceci dépend, d’un côté, de la réduction de la destruction écologique – principalement à travers une contraction de la quantité de ressources que l’économie humaine extrait de la nature – et, d’un autre côté, en améliorant la qualité de vie de beaucoup de gens. »

Mathis Wackernagel indique ensuite que dans sa thèse il choisit d’utiliser l’expression « construction de la durabilité » plutôt que « développement durable » car « développement » est souvent confondu avec « croissance ».

Faisant suite à ce qui vient d’être précédemment indiqué, le cœur du travail de la thèse de Mathis Wackernagel repose sur la détermination d’une mesure du « capital naturel ».

Après avoir parcouru les travaux précurseurs liés à une approche incomplète de l’empreinte écologique, Mathis Wackernagel énonce cinq angles de vue sous lesquels considérer le concept d’empreinte écologique : la logique écologique, la logique socio-économique, la logique épistémologique, la logique politique et la logique psychologique.

La logique épistémologique traite de la consistance théorique du modèle. Nous n’entrerons pas dans ces considérations dans le cadre de ce blog. Ce que Mathis Wackernagel a développé, en 1994, concernant la logique politique et la logique psychologique s’avère aujourd’hui, plus de 25 années plus tard, quelque peu frappé de caducité. Les gouvernements successifs des pays industrialisés ont montré le peu d’intérêt qu’ils accordent aux contraintes écologiques misent en lumière par le concept d’empreinte écologique ; elles pèsent peu face aux lobbies de la finance. Quant à l’éveil des gens aux questions de durabilité et de dépendance à la nature (en termes de ressources et d’absorption des pollutions), la prise de conscience s’est grandement développée depuis 1994, ne serait-ce que par l’aggravation de plus en plus manifeste des désagréments.

Voyons donc uniquement un résumé de ce que la thèse de Mathis Wackernagel exprime au sujet des deux premières logiques.

La logique écologique doit « représenter de manière appropriée les fonctions clés de la biosphère et leur rôle pour la vie humaine ». Le paramètre servant d’intermédiaire à nombre de formes importantes de capital naturel est la surface de terre car elle supporte l’écosystème et la photosynthèse par laquelle l’énergie du rayonnement solaire est communiquée à la biosphère.

Selon le second principe de la thermodynamique, on sait que l’utilisation d’une ressource naturelle crée de la pollution et de la contamination qui affectent le capital naturel. Pour prendre en compte cet effet de rétroaction antagoniste l’empreinte écologique convertit les différents usage individuels du capital naturel en son équivalent en surface de terre. Certains usages peuvent être supportés par la capacité de charge actuelle de la Terre, d’autres usages puisent dans les ressources de la nature.

Le lecteur pourrait logiquement demander pourquoi c’est seulement la surface des terres émergées qui est prise en compte. Comme l’indiquait déjà Frederick Soddy dans la section « Le flot ininterrompu de l’énergie du monde inanimé vers la vie » de son ouvrage de 1926 [3], Mathis Wackernagel remarque que toute la chaîne alimentaire dans l’atmosphère et les océans provient de la photosynthèse qui se produit sur les terres émergées, 17 milliards des 51 milliards d’hectares qui constituent la surface terrestre. Mais sur ce sous-total, il précise que seuls 8,9 milliards d’hectares étaient écologiquement productives en 1992, cette surface ayant diminué de 0,5 % depuis la fin des années 1970.

La deuxième logique est la logique socio-économique. De ce point de vue, l’empreinte écologique est un moyen de mesurer la consommation de capital naturel nécessaire pour fournir un service donné (rendement écologique) et plus largement pour entretenir l’ensemble des services d’une économie donnée (dépendance écologique). C’est un aspect fondamental pour lequel les paradigmes économiques classiques – fondés sur la circulation des flux réversibles de monnaie – sont aveugles. Dans sa thèse, Mathis Wackernagel emploie un allégorie très parlante avec le corps humain. Il compare les flux réversibles de monnaie au système cardio-vasculaire qui transporte cycliquement l’énergie vitale jusqu’aux cellules et l’empreinte écologique comme un concept qui ajoute les systèmes digestif et respiratoire. Si l’on se limite à l’analyse du comportement du système cardio-vasculaire, on ignore si la quantité de nourriture et la quantité d’air nécessaires au fonctionnement des système digestif et respiratoire pourront être maintenus de manière durable pour maintenir en vie un nombre d’humains donné.

Nous avons vu dans de précédents billets que l’économie scientifique repose sur la prise en considération des flux irréversibles d’énergie qui sont la vraie grandeur permettant de mesurer et d’optimiser l’efficacité d’un système socio-économique. De la même manière que la richesse-énergie d’un tel système socio-économique est créée au moyen d’une consommation du capital économique (l’usure et le « vieillissement » des moyens de production), l’empreinte écologique permet de mesurer la consommation de capital naturel nécessaire à la fourniture des services sur lesquels repose un système socio-économique – et de déduire de cela si le niveau de consommation reste en-deçà du seuil de renouvellement du capital naturel ou bien s’il entame le stock disponible.

[1] https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/095624789200400212

[2] https://open.library.ubc.ca/cIRcle/collections/ubctheses/831/items/1.0088048

[3] « Richesse, Richesse virtuelle et Dette » de Frederick Soddy, 1926, traduction française par Jean-Paul Devos, édition Persée, 2015, p. 46.

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