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Économie scientifique
20 août 2021

080 - Le rapport Meadows.

Nous avons déjà évoqué dans le billet n°056 un rapport sur le système bancaire, publié en 2012, qui avait été réalisé sous l’égide d’un groupe de réflexion nommé le Club de Rome.

Historiquement, en 1948 fut créé l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) dans le but d’assurer la mise en œuvre du plan Marshall de reconstruction en Europe des destructions de la Seconde Guerre mondiale. En 1960 lui succéda l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), un organisme international qui existe toujours de nos jours.

Alors que la France était secouée par les rafales d’un vent nouveau, des discussions avaient pris place au sein de l’OCDE à propos des « problèmes de la société moderne » et d’une « crise planétaire naissante ». Ceci déboucha sur la création d’un groupe de réflexion qui se réunit pour la première fois le 8 avril 1968 à Rome, d’où le nom de Club de Rome qui lui fut attribué. Sous son égide fut constituée une équipe de chercheurs du Massachusetts Institue of Technology (MIT) dans l’objectif d’établir un rapport d’étude prospective autour d’un sujet qui émergeait pour la première fois dans les préoccupations humaines : la durabilité à l’échelle planétaire des activités économiques humaines. C’est la publication, en 1972, de ce rapport intitulé « The Limits of Growth » [Les limites à la croissance] qui fit acquérir une notoriété mondiale au Club de Rome. Le dit rapport est plus largement connu sous le nom de rapport Meadows, du nom de Denis Meadows qui était le directeur de l’équipe de recherche du MIT.

Deux mises à jour de ce rapport furent réalisées, la première en 1992 et la seconde en 2004. Nous allons ici examiner naturellement le contenu de la dernière mise à jour de 2004. Le trio d’auteurs de cette dernière mise à jour est composé de Dennis Meadows, Donella Meadows et Jorgen Randers qui étaient déjà les principaux membres de l’équipe originale du MIT, plus d’une trentaine d’années plus tôt. Après avoir mené une grande partie des analyses du livre, Donella Meadows a malheureusement quitté ce monde en février 2001, avant que l’ouvrage ne soit publié.

Si « rapport Meadows » est un dénominatif qui doit, je pense, évoquer quelque chose de déjà entendu pour bon nombre de personnes, la plupart d’entre elles ne doivent pas avoir une connaissance précise de son objet et de son contenu. Commençons donc par brosser le cadre et le contexte historique de ce rapport en citant des extraits de ce qu’écrivaient les auteurs eux-mêmes, en 2004, dans l’introduction de leur livre :

080

« The Limits to Growth a été publié en 1972, puis, en 1992, nous avons publié une version révisée, Beyond the Limits, dans laquelle nous débattions des développements intervenus à l’échelle planétaire en 20 ans…

The Limits to Growth a été élaboré au sein… du Massachusetts Institute of Technology… Notre équipe [17 scientifiques de 6 nationalités] se servait de la théorie de la dynamique des systèmes et de la modélisation informatique pour analyser les causes et les conséquences à long terme de la croissance sur la démographie et sur l’économie matérielle mondiales…

L’un des piliers de notre projet était le modèle informatique "World3" que nous avions construit pour intégrer les données relatives à la croissance. Grâce à ce modèle, nous pouvons produire des scénarios sur le développement mondial qui sont parfaitement cohérents. Dans The Limits to Growth, nous avions publié et analysé 12 scénarios de World3 montrant différents modes de développement de l’humanité sur deux siècles, entre 1900 et 2100. Dans Beyond the Limits figuraient 14 scénarios produits par une version quelque peu mise à jour de World3.

Dans The Limits to Growth, nous expliquions que les limites écologiques planétaires (en matière d’utilisation des ressources et d’émissions de polluants) auraient une influence importante sur le développement mondial durant le XXIe siècle. Nous attirions l’attention du lecteur sur le fait que l’humanité allait peut-être devoir consacrer beaucoup de capital et de main-d’œuvre pour lutter contre ces limites, au point que la qualité de vie moyenne pourrait baisser au cours du XXIe siècle. Nous ne précisions cependant pas quelles pénuries ni quels types d’émissions risquaient de mettre fin à la croissance en nécessitant plus de capital qu’il n’y en aurait de disponible ; cela est tout simplement dû au fait qu’il est impossible de faire des prévisions scientifiques si détaillées au sein du système complexe qui est le nôtre et qui mêle population, économie et environnement.

The Limits of Growth plaidait pour une innovation sociétale profonde et proactive, fondée sur des changements technologiques, culturels et institutionnels, pour éviter que l’empreinte écologique de l’humanité ne dépasse la capacité de charge de la planète Terre. S’il est vrai que nous présentions ce défi mondial comme sérieux, le ton de l’ouvrage était néanmoins optimiste, insistant sans relâche sur la marge de manœuvre dont nous disposions pour atténuer les dégâts causés par l’approche (ou le dépassement) des limites écologiques planétaires, à condition d’agir rapidement.

Les 12 scénarios produits par World3 dans The Limits to Growth montrent à quel point l’augmentation de la population et de l’utilisation des ressources se heurte à toute une série de limites… Dans tous les scénarios réalistes de World3, ces limites obligent la croissance physique à s’arrêter à un moment ou à un autre du XXIe siècle.

Notre analyse ne prévoyait pas l’apparition soudaine de limites, absentes un jour et incontournables le lendemain. Dans nos scénarios, l’expansion de la population et du capital physique contraint petit à petit l’humanité à consacrer davantage de capital à la résolution de problèmes nés de l’association de plusieurs limites. Au bout du compte, ces problèmes accaparent tellement de capital qu’il devient impossible d’alimenter la croissance de la production industrielle. Le déclin de l’industrie empêche alors la société d’assurer la production dans d’autres secteurs : alimentation, services et autres formes de consommation. Et lorsque ces secteurs cessent de se développer, l’accroissement démographique s’arrête, lui aussi.

… dans le scénario le plus pessimiste, le niveau de vie continuait à augmenter jusqu’en 2015.

[...]

En 1992, nous avons procédé à une mise à jour de notre étude de départ et nous en avons publié les résultats dans Beyond the Limits. Nous avons étudié les évolutions qui s’étaient produites à l’échelle planétaire entre 1970 et 1990 et nous nous sommes servi de ces informations pour mettre à jour The Limits to Growth ainsi que le modèle World3. Le message principal restait identique : 20 ans plus tard, nous maintenions les mêmes conclusions qu’en 1972. Mais la version de 1992 présentait une nouvelle conclusion, d’une importance capitale : l’humanité avait déjà dépassé les limites de la capacité de charge de la planète…

Dès le début des années 1990, il devenait de plus en plus évident que l’humanité s’aventurait toujours plus loin en territoire non durable. On apprenait ainsi que les forêts tropicales étaient exploitées à un rythme non soutenable, on craignait que la production de céréales ne puisse plus suivre l’accroissement démographique, certains estimaient que le climat se réchauffait et on s’inquiétait de l’apparition d’un trou dans la couche d’ozone. Pour la majorité des individus, cependant, tout cela ne suffisait pas à prouver que l’humanité avait dépassé la capacité de charge de l’environnement mondial. Nous n’étions pas de cet avis. Pour nous, dès le début des années 1990, il n’était plus question d’éviter le dépassement par des politiques avisées puisque le dépassement était déjà là. La tâche principale consistait plutôt à "ramener" le monde en territoire soutenable. L’heure restait néanmoins à l’optimisme dans Beyond the Limits, car nous faisions la démonstration, scénarios à l’appui, que les dégâts causés par le dépassement pouvaient largement être résorbés en adoptant une politique internationale judicieuse et en faisant évoluer la technologie, les institutions, les objectifs politiques et les aspirations humaines. »

[1] Les limites à la croissance ; Dennis Meadows, Donella Meadows et Jorgen Randers, 2004, traduction d’Agnès El Kaïm, 2017 ; édition Rue de l’échiquier, Paris ; pp. 11-17.

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