081 - Le rapport Meadows : Face aux limites.
Le rapport Meadows a donc été le premier à établir le diagnostic que l’humanité était atteinte d’une grave maladie évolutive associée à une crise de croissance.
En 1972, cette maladie ne présentait encore aucun caractère de gravité et une bonne hygiène économique aurait suffit à la guérir. En 1992, un traitement devait être envisagé sans tarder pour éviter l’apparition prochaine d’une forme symptomatique. En 2002, le traitement aurait dû être prescrit sans plus attendre pour éviter une forme grave. Aujourd’hui, en 2021, nous sommes confrontés aux premiers symptômes et ne pouvons plus agir que pour limiter l’évolution ultérieure du niveau de gravité pouvant aller jusqu’au décès (un effondrement de la civilisation humaine).
Au terme de la Seconde Guerre mondiale, la population mondiale a bondi de 160 % en 25 ans (1950 à 1975) puis a poursuivi son augmentation à peu près au même rythme les 25 années suivantes (150 % de 1975 à 2000). De 1950 à 1975 tous les indicateurs macroéconomiques de production étaient nettement supérieurs à l’augmentation de la population, voire plusieurs fois supérieurs (voir le tableau de l’image jointe tirée du rapport Meadows [1]). À partir de 1975, cette explosion de la production économique ne pouvait déjà plus se poursuivre au même rythme et s’est à peu près calée sur le rythme de l’accroissement de la population - tout ceci étant une moyenne mondiale qui ne reflète pas les fortes disparités entre pays riches, pays pauvres ou pays en développement.
Voilà des extraits de ce qu’écrivent les auteurs à ce sujet de ce constat des limites à la croissance :
« Une fois que l’empreinte a dépassé un niveau soutenable, ce qui est déjà le cas, elle doit à terme diminuer, soit au moyen d’un processus délibéré (grâce, par exemple, à une rapide amélioration de l’éco-efficience), soit par l’action de la nature (à travers une baisse de la consommation de bois à mesure que les forêts disparaissent, par exemple). La question n’est donc pas de savoir si l’augmentation de l’empreinte écologique va s’arrêter, la question est de savoir quand et par quels moyens.
L’accroissement démographique va cesser soit parce que le taux de natalité va continuer à diminuer, soit parce que les décès vont se mettre à grimper, soit pour ces deux raisons. En ce qui concerne la croissance industrielle, elle va s’arrêter soit parce que le taux d’investissement va chuter, soit parce que la dépréciation du capital va se mettre à augmenter, soit pour ces deux raisons. Si nous anticipons ces tendances, nous pourrons peut-être exercer un contrôle rationnel sur elles, en choisissant la meilleure des solutions. En revanche, si nous n’en tenons pas compte, ce sont les systèmes naturels qui choisiront une issue pour nous, sans se soucier de notre bien-être.
Les taux de natalité, de mortalité, d’investissement et de dépréciation seront équilibrés par les choix des hommes ou par les réactions des sources et des exutoires de la planète, trop sollicités. Les courbes de croissance exponentielle ralentiront alors, fléchiront et se stabiliseront, ou déclineront. À ce stade, les répercussions sur l’homme et sur la planète pourraient être catastrophiques.
Il est bien trop aisé de classer les phénomènes selon qu’ils sont "mauvais" ou "bons" et de s’en tenir à ces seules classifications. Des générations durant, les croissances démographique et industrielle ont été considérées comme résolument bonnes et il est vrai que sur une planète peu densément peuplée et offrant d’abondantes ressources, il n’y avait pas de raison de penser autrement. Aujourd’hui, en revanche, du fait de notre prise de conscience de plus en plus aiguë des limites écologiques, il peut être tentant de considérer toute croissance comme négative.
La prise de décision à une époque où certaines limites sont atteintes exige plus de doigté et des classifications plus réfléchies. Certaines populations ont désespérément besoin de davantage de nourriture, d’un toit et de biens matériels. D’autres, touchées par une forme différente de désespoir, tentent d’utiliser la croissance matérielle pour satisfaire d’autres besoins, tout aussi réels mais immatériels : besoin d’être accepté, reconnu, d’appartenir à une communauté, besoin identitaire. Cela n’a donc pas de sens d’être dithyrambique au sujet de la croissance ou au contraire de la fustiger en bloc. Mieux vaut se poser les questions suivantes : Croissance de quoi ? Pour qui ? À quel prix ? Financée par qui ? De quel type de besoin parle-t-on vraiment et quel est le moyen le plus direct et le plus efficient de le satisfaire pour ceux qui ressentent ce besoin ? Comment déterminer ce qui est suffisant ? Quelles obligations avons-nous de partager ?
Les réponses à ces questions nous ouvrent la voie d’une société autonome et équitable. Les réponses aux questions suivantes nous ouvriront, quant à elles, la voie d’une société durable : Aux besoins de combien d’individus peut-on pourvoir à partir d’un flux donné de ressources et en ne dépassant pas une certaine empreinte écologique ? Selon quel niveau de consommation matérielle ? Pendant combien de temps ? À quel point le système physique qui supporte la population humaine, l’économie et toutes les autres espèces est-il sollicité ? Quelle est la résilience de ce système et vis-à-vis de quels types et de quelles quantité de stress ? À partir de quand est-on dans l’excès ? » [2]
« … nous savons que si une terre fertile, une énergie en quantité suffisante, des ressources appropriées et un environnement sain sont nécessaires à la croissance, ils n’y suffisent pas. Même s’ils sont présents en abondance, des problèmes sociaux peuvent les rendre inaccessibles. Nous partons cependant du principe, dans cet ouvrage, que les meilleures conditions sociales possibles prévaudront. » [3]
[1] Les limites à la croissance ; Dennis Meadows, Donella Meadows et Jorgen Randers, 2004, traduction d’Agnès El Kaïm, 2017 ; édition Rue de l’échiquier, Paris ; p. 45.
[2] Ibid ; pp. 102 et 103.
[3] Ibid ; p. 108.