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Économie scientifique
13 octobre 2021

084 - Le rapport Meadows : Les limites forestières.

Venons-en maintenant aux extraits du livre consacrés à la question des limites forestières. [1]

« Une forêt est une ressource en soi qui possède des fonctions vitales inestimables sur le plan économique. Les forêts modèrent le climat, contrôlent les inondations et emmagasinent de l’eau pour lutter contre la sécheresse. Elles atténuent l’effet érosif des pluies, participent à la formation des sols le long des pentes et les empêchent de s’effondrer, et préservent les cours d’eau, les zones littorales, les canaux d’irrigation et les réservoirs des barrages de l’envasement. Elles abritent et entretiennent de nombreuses espèces vivantes. On estime ainsi que le forêts tropicales, qui ne couvrent pourtant que 7 % du globe, abritent à elles seules au moins la moitié des espèces. Un grand nombre de ces espèces, des palmiers aux champignons en passant par les plantes médicinales, des espèces utilisées pour des teintures aux espèces comestibles, ont une valeur commerciale et n’existeraient pas sans les arbres protecteurs qui constituent leur habitat.

Les forêts absorbent et retiennent une grande quantité de dioxyde de carbone, ce qui contribue à réguler les stocks de CO2 dans l’atmosphère et à lutter contre l’effet de serre et le réchauffement climatique. Enfin, mais c’est loin d’être négligeable, les forêts en bonne santé sont de beaux endroits, très appréciés pour se détendre et faire le plein de sérénité.

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Avant l’avènement de l’agriculture, on comptait entre 6 et 7 milliards d’hectares de forêts sur la Terre. Il n’y en a plus aujourd’hui que 3,9 milliards si l’on prend en compte les 0,2 milliards d’hectares de plantations forestières. Plus de la moitié des pertes de forêts naturelles dans le monde se sont produites depuis 1950. Entre 1990 et 2000, la surface de forêts naturelles a diminué de 160 millions d’hectares, soit d’environ 4 %, et les pertes se sont principalement déroulées dans les tropiques ; la destructions des forêts tempérées s’est en effet produite bien avant 1900, lors de l’industrialisation de l’Europe et de l’Amérique du Nord.

La perte de forêts est un signe évident de non-durabilité, car c’est le stock d’une ressource renouvelable qui s’amenuise. Mais, comme c’est souvent le cas, derrière la tendance mondiale sans équivoque se cachent des situations complexes et variées au niveau local.

Il faut bien faire la distinction entre les deux manières de mesurer la ressource forestière : en termes de surface ou en termes de qualité. Il n’y a en effet rien de commun entre un hectare de forêt intacte composée d’arbres vieux de plusieurs centaines d’années et une coupe rase qui repousse, mais qui ne comportera pas un seul arbre ayant une valeur économique avant 50 ans et qui ne présentera peut-être jamais plus la diversité écologique d’une forêt primaire. Et pourtant, de nombreux pays ne distinguent pas les deux quand ils établissent leurs données.

La qualité d’une forêt est bien plus difficile à mesurer que sa surface. Les données qui sont les moins sujettes à controverse en matière de qualité ont en fait trait à la surface : ce sont les statistiques portant sur les surfaces résiduelles de forêts qui n’ont jamais été coupées (appelées forêts primaires, vierges ou originelles). Et il est évident que ces forêts, très précieuses, sont actuellement converties à un rythme soutenu en forêts moins précieuses.

Un cinquième seulement (1,3 milliards d’hectares) du couvert forestier originel de la Terre se présente aujourd’hui encore sous forme de vastes étendues de forêts naturelles relativement intactes. La moitié est constituée des forêts boréales de Russie, du Canada et de l’Alaska ; le reste est en grande partie représenté par la forêt tropicale humide d’Amazonie. D’immenses étendues sont menacées par l’exploitation forestière et minière, les déboisements pour l’agriculture et d’autres activités anthropiques. Une surface de 0,3 milliard d’hectares bénéficie officiellement d’une protection (et encore, cette protection se limite parfois à la signature d’un simple papier ; dans nombre de ces forêts, le bois et/ou les animaux sauvages sont systématiquement exploités sans autorisation légale).

Les États-Unis (hormis l’Alaska) ont perdu 95 % de leur couvert forestier originel. L’Europe n’a pour ainsi dire plus de forêts primaires. La Chine a perdu les trois quarts de ses forêts et quasiment toutes ses forêts primaires… La surface de forêts des zones tempérés qui ont été exploitées mais qui ont repoussé (forêts secondaires) augmente légèrement, mais beaucoup enregistrent une baisse des nutriments du sol, des mélanges d’essences, de la taille des arbres, de la qualité du bois, de la taille des arbres,, de la qualité du bois et de leur taux de croissance ; elles ne sont pas gérées durablement.

Moins de la moitié des forêts naturelles résiduelles se situent dans les zones tempérées (1,6 milliards d’hectares) ; le reste se trouve en zone tropicale (2,1 milliards d’hectares). Entre 1900 et 2000, la surface de forêts naturelles en zone tempérée n’a que légèrement légèrement baissé, de quelque 9 millions d’hectares, ce qui revient à une perte d’environ 0,6 % en dix ans. La moitié de ces forêts naturelles a été convertie en plantations forestières intensives pour l’industrie du papier et celle du bois. La même superficie ou presque a été reboisée.

Si la superficie des forêts des zones tempérées demeure relativement stable, celle des forêts tropicales est en chute libre. En effet, selon la FAO, entre 1990 et 2000, plus de 150 millions d’hectares de forêts tropicales dans le monde ont été convertis à d’autres fins, soit une superficie équivalente à celle du Mexique. La perte de forêt dans les années 1990 pourrait donc avoir été de 15 millions d’hectares par an, soit 7 % durant la décennie.

Il s’agit là des données officielles, mais personne ne sait avec précision à quelle vitesse la forêt tropicale disparaît. Les chiffres changent d’une année sur l’autre et sont controversés…

Menée par le FAO en 1980, la première évaluation à faire autorité en matière de taux de déforestation en zone tropicale a conclu à une perte de 11,4 millions d’hectares par an. Au milieu des années 1980, ce chiffre a atteint plus de 20 millions d’hectares par an. Par suite à des changements politiques, notamment au Brésil, il est redescendu en 1990 aux alentours de 14 millions d’hectares par an. En 1999, une nouvelle évaluation de la FAO établissait le taux annuel de perte de forêt à 11,3 millions d’hectares par an, l’intégralité ou presque de ces pertes survenant en zone tropicale. Enfin, comme nous l’avons vu plus haut, à la fin de la décennie, une dernière estimation indiquait que 15,2 millions d’hectares disparaissaient chaque année.

Ces chiffres ne prennent en compte que la conversion permanente des forêts en vue d’autres usages (en premier lieu pour l’agriculture et l’élevage et en second lieu pour la construction de routes et d’habitations). Ils ne tiennent pas compte de l’exploitation du bois (étant donné qu’une forêt exploitée est tout de même comptabilisée comme une forêt). Et ils ne tiennent pas compte non plus des feux de forêt qui ont ravagé 2 millions d’hectares au Brésil et en Indonésie et 1,5 millions au Mexique et en Amérique centrale en 1997-1998. (Une forêt brûlée est elle aussi comptabilisée comme une forêt.) Si on ajoute à cela le taux net auquel les zones estampillées « forêt tropicale » perdent leurs arbres, on arrive à un total qui dépasse presque à coup sûr les 15 millions d’hectares par an et pourrait avoisiner 1 % des zones boisées chaque année.

[…]

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Les raisons de l’exploitation de la forêt tropicale varient d’un pays à l’autre. Parmi les facteurs, on compte les multinationales du bois et du papier qui cherchent à accroître leurs ventes ; les États qui augmentent leurs exportations pour rembourser leur dette extérieure ; les éleveurs et las agriculteurs qui convertissent la forêt en pâturages ou en cultures ; les populations sans terres qui ont un besoin impérieux de bois de chauffage ou d’un lopin de terre pour faire pousser de quoi se nourrir. Tous ces acteurs œuvrent souvent de concert, les États faisant venir les multinationales, les multinationales exploitant les forêts et les pauvres se déplaçant le long des chemins forestiers pour trouver un endroit où s’établir.

Mais il existe un autre facteur d’exploitation non durable des forêts dans les zones tropicales comme tempérées. Dans un monde où le bois de bonne qualité est en train de disparaître, un arbre issu d’un vieux peuplement peut valoir 10 000 dollars voire plus. Voilà de quoi attiser les convoitises. D’où les cessions de ressources forestières publiques au secteur privé, les ventes secrètes de permis d’exploiter, la manipulation des chiffres, les faux certificats d’essences, de volumes ou de surfaces coupées, les vérifications trop rapides du respect de la réglementation, les accords de complaisance et les dessous-de-table. Et de telles pratiques ne sont pas l’apanage des pays tropicaux.

[…]

Les plantations forestières à haut rendement … produisent une quantité étonnante de bois à l’hectare, ce qui réduit le pression que l’exploitation exerce sur les forêts naturelles.

Prenons à cet égard l’exemple extrême des plantations forestières tropicales à très haut rendement qui peuvent donner (pendant un certain temps du moins) jusqu’à 100 m³ de bois par hectare et par an. C’est 40 fois plus que le taux de croissance moyen des forêts naturelles des zones tempérées qui produisent environ 2,5 m³ de bois par hectare et par an. Sur la base du rendement le plus élevé, il ne faudrait que 34 millions d’hectares (une surface semblable à celle de la Malaisie) pour satisfaire la demande mondiale actuelle en pâte vierge, en bois de construction et en bois-énergie. »

[1] Les limites à la croissance ; Dennis Meadows, Donella Meadows et Jorgen Randers, 2004, traduction d’Agnès El Kaïm, 2017 ; édition Rue de l’échiquier, Paris ; pp. 142-156.

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