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Économie scientifique
28 février 2022

093 - Le rapport Meadows : Pourquoi la technologie et les marchés ne peuvent à eux seuls empêcher l’effondrement.

Nous ne pourrons plus éviter l’effondrement sans changer de système socio-économique. Les extraits de « Les limites de la croissance » exposés dans ce billet démontrent que la technologie et les lois du marché de l’actuel système ne peuvent désormais suffire à l’empêcher.

093

« L’un des enseignements à tirer des 6 simulations précédentes est que dans un monde complexe et fini, lorsqu’on supprime ou repousse une limite pour permettre à la croissance de continuer, on en rencontre une autre. Et lorsque la croissance est exponentielle, cette autre limite arrive étonnamment vite. Il y a en fait des strates de limites. World3 n’en contient qu’un petit nombre. Le "monde réel", lui, en contient bien plus dont la plupart sont distinctes, ont des spécificités particulières et sont locales. Seulement quelques limites, comme celles qui concerne d’ozone ou le climat de la planète, ont une portée véritablement mondiale.
On pourrait s’attendre à ce que des zones différentes du "monde réel", en poursuivant leur croissance, rencontrent des limites différentes, dans un ordre différent et à des moments différents. Nous pensons pour notre part que ces limites successives et multiples se manifesteraient partout à la fois, comme cela se produit dans World3. Dans une économie de plus en plus mondialisée, une société qui subit un stress à un endroit envoie des ondes qui sont ressenties partout. De plus, la mondialisation accroît la probabilité que les différentes zones de la planète qui commercent activement les une avec les autres atteignent de nombreuses limites plus ou moins simultanément.

Le deuxième enseignement est que plus un pays parvient à retarder ses limites grâce à des adaptations économiques et techniques, plus il risque de se heurter à plusieurs d’entre elles à la fois. Dans la plupart des scénarios de World3, y compris dans beaucoup de scénarios que nous ne montrons pas ici, le système mondial ne finit pas par être totalement à court de terres, de nourriture ou de ressources ni par perdre totalement sa capacité à absorber la pollution. Ce qui finit par lui manquer, c’est sa capacité à s’en sortir.
La "capacité à s’en sortir" est représentée dans World3, quoique trop simplement, par la quantité de production industrielle qui peut chaque année être investie dans la résolution de problèmes. Dans le "monde réel", bien d’autres éléments déterminent la capacité à s’en sortir : le nombre d’individus ayant une formation ; leur motivation ; l’attention des politiques et leur détermination ; la capacité à accepter un risque financier ; la capacité des institutions à développer, diffuser et assurer la maintenance de nouvelles technologies ; les capacités de gestion ; la capacités des médias et des responsables politiques à rester concentrés sur les problèmes cruciaux ; le consensus parmi les électeurs sur les grandes priorités ; la capacité des individus à regarder loin devant pour anticiper les problèmes. Toutes ces facultés peuvent se développer avec le temps si la société investit dans leur développement. Mais à un moment ou à un autre, elles atteignent leur limite. Elles ne peuvent traiter qu’un certain nombre de difficultés. Des problèmes – qui pourraient pourtant en théorie être résolus individuellement – peuvent déborder "la capacité à s’en sortir" des hommes s’ils surviennent et se multiplient de façon exponentielle.
Le temps est en fait la limite suprême dans World3, et dans le "monde réel" aussi, selon nous. Si on lui laisse suffisamment de temps, l’humanité peut, à nos yeux, résoudre quasiment tous les problèmes. La croissance, surtout lorsqu’elle est exponentielle, est terriblement insidieuse, car elle réduit le temps de l’action efficace. Elle ne fait que stresser encore un système, de plus en plus vite, jusqu’à ce que les mécanismes, qui avaient fait leurs preuves lorsque le rythme était moins soutenu, se dérèglent.
… les marchés et les technologies ne sont que des outils au service des objectifs, de l’éthique et de l’horizon temporel de la société dans son ensemble. Si les objectifs implicites d’une société sont d’exploiter la nature, d’enrichir les élites et de faire fi du long terme, alors cette société développera des technologies et des marchés qui détruiront l’environnement, creuseront le fossé entre les riches et les pauvres et privilégieront les gains à court terme. En résumé, cette société va développer des technologies et des marchés qui vont précipiter son effondrement au lieu de l’éviter.
… les mécanismes d’ajustement ont un coût. Le coût de la technologie et des marchés dépend des ressources, de l’énergie, de l’argent, de la main d’œuvre et du capital. Ces coûts ont tendance à augmenter de façon non linéaire à mesure que l’on s’approche des limites. Ce phénomène explique lui aussi le comportement parfois surprenant d’un système.
… lorsqu’on s’attaque aux émissions d’oxyde d’azote, il est relativement peu coûteux de réduire de près de 50 % les émissions. Le coût augmente mais reste raisonnable quand on passe à près de 80 % et ensuite, on atteint une limite, un seuil au-delà duquel les coûts augmentent considérablement.
… On peut se permettre financièrement de diviser par deux la quantité de polluants par voiture, mais si le nombre de véhicule double, la quantité de polluants par voiture devra à nouveau être divisée par deux simplement pour conserver la même qualité de l’air. Deux doublements du nombre de voitures nécessitent une diminution de 75 % de la pollution et à trois doublement, c’est 87,5 % de la pollution qu’il faut éliminer.
C’est pourquoi à partir d’un certain moment, on ne peut plus dire que la croissance va permettre à l’économie d’être assez riche pour financer la dépollution. La croissance entraîne en réalité l’économie dans une augmentation non linéaire des coûts jusqu’au moment où toute dépollution supplémentaire ne peut plus être financée. » [1]
« De nombreuses raisons expliquent que les signaux du marché pétrolier n’aient pas encore informé utilement le monde sur les limites physiques sur le point d’être atteintes. Les autorités publiques des pays producteurs interviennent en effet pour faire monter les prix ; elles sont tentées de mentir au sujet de leurs réserves, c’est-à-dire de les gonfler afin d’être éligibles à des quotas de production plus élevés. De leur côté, les autorités publiques des pays consommateurs s’efforcent d’empêcher les prix de grimper. Elles peuvent pour cela mentir sur leurs réserves et les gonfler elles aussi afin de réduire le pouvoir politique des producteurs indépendants. Quant aux spéculateurs, ils peuvent amplifier la valse des prix. Les quantités de pétrole en surface prêtes à être utilisées exercent une bien plus grande influence sur les prix que celles qui, sous nos pieds, constituent les ressources futures. Le marché est sourd à toute idée de long terme et n’a que faire des sources et des exutoires ultimes jusqu’à ce qu’ils soient quasiment épuisés et qu’il soit trop tard pour appliquer des solutions satisfaisantes. » [2]

[1] Les limites à la croissance ; Dennis Meadows, Donella Meadows et Jorgen Randers, 2004, traduction d’Agnès El Kaïm, 2017 ; édition Rue de l’échiquier, Paris ; pp. 360-364.
[2] Ibid ; p. 368.

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