Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Économie scientifique
4 décembre 2023

111 - Le modèle d’évolution des civilisations de Thomas Wallace : L’exemple de l’Empire espagnol – l’essor. [1]

Le précédent billet a été consacré aux événements historiques qui ont conduit à la création de l’Espagne puis à l’avènement de l’Empire espagnol marqué par la colonisation du « Nouveau Monde » qui a suivi l’exploration de Christophe Colomb.

Nous allons examiner ici la période de l’Espagne impériale jusqu’à son effondrement.

Il ne semble pas inutile, pour fixer les idées, de commencer par brosser – partiellement - le contexte dynastique un peu complexe faisant suite à l’union de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de Castille.

Nous avons vu dans le précédent billet que leur mariage ne fut qu’une union dynastique des deux couronnes (même si en essence on peut considérer cet événement comme celui de la naissance de l’Espagne). Isabelle a régné sur la Castille de 1474 jusqu’à sa mort en 1504. Durant cette période Ferdinand d’Aragon est roi consort de Castille. Ce dernier restera roi d’Aragon jusqu’à sa propre mort en 1516. Isabelle et Ferdinand eurent trois enfants. Les deux premiers, un fils et une fille, sont morts prématurément en 1497 et 1498, respectivement. C’est donc leur troisième enfant, Jeanne, née en 1479, qui a hérité de la couronne de Castille en 1504, puis de celle d’Aragon en 1516. En théorie toutefois, car Jeanne était affectée par des troubles mentaux (Ferdinand et Isabelle, ses parents, étaient cousins germains). Ainsi, de 1504 à 1516, c’est en pratique Ferdinand qui assura la gouvernance de la Castille. À la mort de Ferdinand, en 1516, c’est au deuxième des six enfants de Jeanne (l’aîné mâle), Charles, que fut confié la régence des deux couronnes dont il devint le souverain effectif à l’âge de 16 ans. Seulement quatre années plus tard, en 1520, ce dernier se fit élire empereur d’Espagne sous le nom de Charles Quint.

111-1

Nous avons indiqué que le règne d’Isabelle et Ferdinand s’est effectué sous la marque du mode de gouvernance altruiste qui caractérisait les rois catholiques de l’époque. Même si, après 1492, la colonisation de l’Amérique a représenté une nouvelle source de richesses, c’est principalement le mode de gouvernance d’Isabelle et Ferdinand qui a insufflé une stabilité sociale et économique « affectant favorablement le taux de croissance et de productivité culturelle » et une coopération harmonieuse des populations de Castille et d’Aragon. La prospérité économique instillée par Isabelle et Ferdinand bénéficia de plus de l’absence bénéfique de coûts militaires supplémentaires car elle se déroula dans une période de paix. Wallace écrit (p. 333) : « Ferdinand et Isabelle ont été capables d’établir l’ordre en Castille, et de neutraliser, à un certain degré, le pouvoir politique de l’aristocratie. Cet objectif nécessitait de créer une relation de travail positive entre la couronne et les municipalités, fondée sur l’intérêt commun de réduire l’influence de l’aristocratie et de restaurer l’état de droit. »

Ce contrôle des appétits de l’aristocratie – au sein de laquelle la mentalité dominante avait glissé vers un matérialisme assuré - s’appliqua aussi dans le Nouveau Monde.

Même si la gouvernance d’Isabelle et Ferdinand avait apporté un contexte favorable de développement économique, les difficultés financières de la couronne n’étaient pas résorbées au début du XVIe siècle. Thomas Wallace décrit ainsi (p. 330) comment l’entreprise d’expansion au Nouveau Monde fut financée : « Pour financer des projets spécifiques, la couronne combina des sources de financement privées et publiques, avec la participation conjointe de l’État et de la couronne. Il y eut aussi des expéditions entièrement privées, mais uniquement sous l’autorité légale de la couronne et sous la perspective que certains droits spécifiques de la couronne seraient respectés. L’investisseur privé pouvait légalement acquérir des propriétés, des indigènes pour le travail forcé, des terres et des titres. Le manque de richesse de la couronne nécessitait des incitations plutôt généreuses envers les investisseurs privés, mais toujours sous le contrôle de la couronne. »

Il écrit ensuite (p. 331) : « Dans le Nouveau Monde, l’importance économique de l’esclavage des Indiens pour des entreprises profitables devint rapidement un sujet majeur qui se heurtait avec les objectifs religieux affirmés par la couronne, et plus particulièrement ceux de la reine. Ainsi, elle interdit formellement l’emploi d’esclaves indigènes à des travaux forcés en 1500, mais des méthodes créatives ont rapidement été inventées par les investisseurs pour rationaliser l’esclavage comme une nécessité économique, en particulier pour le travail dans les mines. Un moyen fut basé sur le postulat que la fourniture de "soins pastoraux", qui comprennent la sécurité, l’éducation et l’instruction religieuse, était le paiement du travail, qui n’était autre qu’un esclavage flagrant au nom du profit. »

Les règles éthiques avec lesquelles Isabelle et Ferdinand contrôlaient la colonisation du Nouveau Monde s’effacèrent à la mort de ce dernier en 1516.

111-2

Comme cela a été mentionné plus haut, la couronne atterrit ensuite sur la tête de Charles, petit fils d’Isabelle et de Ferdinand. Charles naquit à Gand (comté de Flandre) de l’union de leur fille Jeanne avec Philippe de Habsbourg, duc de Bourgogne. Précisons qu’à l’époque le comté de Flandre était intégré à la Bourgogne. Philippe de Habsbourg décéda prématurément en 1506, à l’âge de 28 ans.

À cette date Charles hérita notamment ainsi, dès l’âge de 6 ans, des royaumes de Hongrie et de Bohême, de l’archiduché d’Autriche et de la Bourgogne. Tout ceci illustre que l’enfance de Charles a baigné dans un contexte culturel différent de celui des rois catholiques Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille, ses grands-parents. Même si Charles adhérera encore au rêve carolingien d’un empire chrétien uni, son accession au trône sera marquée par un style de gouvernance plus « autoritaire et énergétique » et une « élimination des degrés de liberté et d’autodétermination » qui avaient cours sous la gouvernance de Ferdinand et Isabelle. Nous savons à présent qu’un tel changement tend à susciter des répercussions socio-économiques négatives. Cependant les sujets de Castille et d’Aragon attendaient « que des retombées positives sur sa propre économie seraient entraînées par le nouveau leadership d’un empereur aussi puissant, qui avait l’ambition de continuer à acquérir agressivement la richesse du Nouveau Monde et à défendre la chrétienté, à travers le monde, contre l’hérésie et les infidèles ». (p. 337)

C’est sous cette nouvelle doctrine de gouvernance introduite par le jeune Charles Quint que « de 1519 à 1540 l’Espagne établit son Empire américain tout en soutirant une importante richesse mais en détruisant aussi, dans le processus, les civilisations aztèque et inca, le tout avec l’accord papal et en faisant de l’Amérique une possession castillane légale. » (p. 330)

Le XVIe siècle fut la période du plein essor de l’Empire espagnol. Thomas Wallace a écrit : « Au cours du XVIe siècle, l’Espagne devint une grande puissance militaire, acquit une grande richesse en colonisant de vastes territoires et, dans ce processus, développa des améliorations technologiques créatives dans la communication, la cartographie, la navigation, l’exploitation minière et la métallurgie. De plus, des méthodologies avancées furent inventées pour gérer les problèmes exceptionnels associés aux aspects sociaux, économiques et politiques d’une expansion impériale massive dans des régions inexploitées du monde. »

[1] « Richesse, Énergie et Valeurs humaines » de Thomas Wallace, 2009, traduction française par Jean-Paul Devos, édition Persée, 2017 ; pp. 315-337.

Publicité
Publicité
Commentaires
Économie scientifique
Publicité
Archives
Newsletter
Économie scientifique
Publicité