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Économie scientifique
13 février 2024

114 - Histoire de la démographie et de la consommation des ressources.

Dans « Une question de taille » Olivier Rey, mathématicien et philosophe, chercheur au CNRS, a écrit : [1]

« Selon une étude du Population Reference Bureau en 2002, les êtres aujourd’hui vivants représenteraient à peu près 6 % de tous ceux qui ont vécu depuis l’apparition de l’Homme sur la Terre…

Au-delà du nombre d’humains, c’est surtout la façon sans précédent que ces humains ont de requérir la nature qui est en cause. Quelques années d’activité industrielle actuelle représentent davantage, en quantité, que tout ce qui a été produit par l’humanité entière jusqu’en 1945. Autrement dit la courbe démographique, déjà explosive, a une croissance très modérée comparée à celle de l’usage des matières premières… Aujourd’hui, l’activisme technique a atteint un tel degré que ses effets concurrencent ou dépassent en ampleur les modifications de l’environnement et du climat induites par les forces naturelles…

Jusqu’à quelques années en arrière, les paléoanthropologues dataient l’apparition sur Terre de l’Homo sapiens à il y a 200 000 mille ans. Une récente découverte a fait reculer cette date d’un bond de 100 000 années. [2] Quelle a été l’évolution en nombre de l’Homo sapiens depuis le début de sa présence sur Terre il y a donc au moins 300 000 ans ? Au-delà de quelques dizaines de milliers d’années en arrière, on n’en sait absolument rien. Ensuite on dispose d’estimations, dont la fiabilité s’est nettement accrue avec de début de l’histoire écrite, il y a environ 7 000 ans.

Ainsi, sur son site d’histoire, l’historien, ingénieur et journaliste scientifique André Larané publie une estimation de l’évolution de la population humaine. [2] Elle aurait été de 80 millions 5 000 ans avant J.C., de 250 millions à l’an 0, se serait réduite à 200 millions en l’an 500, avant de recroître lentement à 460 millions en 1500 (soit sur une durée d’un millénaire), avant d’entamer une croissance de plus en plus rapide : 1 milliard en 1800, 1,6 milliards en 1900, 2,5 milliards en 1950, 6 milliards en 2000. André Larané remonte même encore bien plus loin en arrière en avançant une population de 10 millions d’humains en 10 000 avant J.C. et de seulement 1 million d’humains en 35 000 avant J.C. Toutefois ces deux dernières estimations peuvent paraître assez hasardeuses car d’importantes lacunes semblent entacher la connaissance que nous avons des civilisations anciennes ayant pu exister à des époques aussi reculées. Voir par exemple les publications [4-5] de 2022 et 2023. En 2022 a par ailleurs été publié un édito récapitulatif sous le titre « Nous n’avons pas encore découvert toutes les grandes civilisations du passé… », par un auteur insolite, René Trégouët. [6] Il ne s’agit pas d’un anthropologue, ni d’un historien ou d’un spécialiste en histoire des civilisations. Il est connu pour sa carrière d’homme politique, qu’il mena de 1973 à 2004, au cours de la laquelle il fut sénateur du Rhône de 1973 à 2004 (RPR puis UMP). Durant cette carrière il s’est toutefois largement consacré à des dossiers scientifiques comme le programme de développement du synchrotron Soleil (sur le plateau de Saclay). Il semble donc qu’après avoir pris sa retraite d’homme politique, il se soit passionné pour les civilisations inconnues du lointain passé. Mais fermons ici cette petite parenthèse qui, même si elle est intéressante, nous éloigne un peu du cœur du sujet du présent billet.

Quand René Trégouet titre « Nous n’avons pas encore découvert toutes les grandes civilisations du passé… », on peut encore se demander dans quelle mesure nous avons la possibilité de les découvrir, en fonction de l’éloignement dans le passé que l’on considère. Considérons par exemple les déchets que produit l’humanité actuelle : la durée de biodégradabilité de la plupart d’entre eux va de quelques mois à quelques centaines d’années, heureusement. Les exceptions sont les bouteilles en plastique, dont certaines peuvent durer jusqu’à un millier d’années ; le polystyrène expansé qui dure un millier d’années, de même que des objets comme les cartouches d’encre et cartes de paiement. [7] Ils sont très peu à excéder ce seuil du millier d’années. Il y a le verre qui dure 4 000 à 5 000 ans (mais certains experts disent qu’il pourrait théoriquement ne se décomposer entièrement qu’au bout de centaines de milliers d’années), les piles un peu moins de 8 000 ans ; concernant les pneumatiques en caoutchouc ça semble plus incertain mais ce serait de l’ordre de grandeur de 2 000 ans. [8] Si la Tour Eiffel culmine dans le ciel de Paris depuis 130 ans c’est car sa couche de peinture anticorrosion est entièrement renouvelée tous les 7 ans. Sans cela, sa structure de fer deviendrait un tas de rouille au bout de quelques dizaines d’années. Qu’en est-il alors du béton utilisé pour les bâtiments, les ponts et autres infrastructures modernes ? Abandonnés sans entretien ils deviendraient des tas de ruines en 50 ans, en moyenne ; cette durée pouvant largement varier - et être même réduite à une dizaine d’années - en fonction de l’environnement et du type de béton utilisé. [9]

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Ainsi, si l’humanité actuelle disparaissait, au bout de 10 000 ans et plus - hormis les traditionnels restes enfouis que l’on peut découvrir ça et là au gré de fouilles dans des milieux favorables à la préservation - il resterait bien peu de choses pouvant encore signaler le niveau technologique qu’elle a atteint : le caractère non naturel de la radioactivité émise par les sites d’enfouissement des déchets de combustible nucléaire, du verre et aussi… les petites boules légères et volantes de polystyrène utilisées comme protection dans les colis. Peut-être resterait-il encore également d’énormes édifices en roche naturelle, telles les pyramides de l’Égypte antique, si vous avions entrepris de telles réalisations à l’époque moderne. À noter qu’il n’en va pas de même, de la pourtant impressionnante Grande Muraille de Chine qui est construite à base de briques. Même si elle est encore plutôt bien conservée de nos jours – et constitue l’une des attractions touristiques mondiales – ses constructions, destructions et reconstructions se sont étalées du IIIe siècle avant J.-C. jusqu’au XVIIe siècle. Bien que faisant depuis l’objet de restaurations régulières (comptant parmi les 7 merveilles du monde), un tiers de ses 21 000 km a déjà disparu aujourd’hui. [10] Une autre construction ancienne, moins connue, mais d’allure plus mégalithique, est la forteresse inca de Sacsayhuamàn. Sise sur les hauteurs de la ville actuelle de Cuzco, Pérou - ancienne capitale des Incas - elle est constituée de blocs massifs de calcaire aux formes irrégulières, à l’apparence d’un gigantesque puzzle, ajusté au millimètre. Les plus gros atteignent une masse de 100 à 200 tonnes (voir photo jointe). Les archéologues estiment que sa construction se serait étalée de la seconde moitié du XIVe siècle à la seconde moitié du XVe siècle (donc juste avant l’arrivée des conquistadors espagnols). Des fissures étant apparues dans des blocs, le gouvernement péruvien a fait appel, en 2012, à une équipe de chercheurs afin de déterminer l’origine des dégradations. Il s’est avéré que la cause principale était la circulation d’eaux souterraines. L’étude de la composition des roches vient d’établir avec certitude, il y a guère plus d’un an, que les blocs proviennent de deux carrières voisines (les plus massifs de la plus proche). [11] Il a par ailleurs été montré que la disposition irrégulière des blocs ne relève pas d’une pure fantaisie contraignante ; elle dote l’ouvrage de bonnes propriétés antisismiques (dans une région soumise à de fréquents tremblements de terre).

Comment les constructeurs s’y sont-ils pris pour transporter des blocs pouvant peser de 100 à 200 tonnes et les ajuster entre eux au millimètre, dans une structure irrégulière (antisismique) où chaque bloc est différent ? L’énigme est du même niveau que les questionnements entourant la construction des pyramides de l’Égypte antique. Toutefois, les pyramides du plateau de Gizeh ont été construites il y a 4 à 5 millénaires, la forteresse de Sacsayhuamàn il y a juste un peu plus de 500 ans. On voit donc qu’il n’est même pas nécessaire de remonter à des milliers d’années en arrière pour être confronté à de grandes lacunes concernant notre connaissance des civilisations passées et des technologies qu’elles maîtrisaient. Alors que peut-on affirmer sur les civilisations qui ont pu exister des dizaines de milliers d’années en arrière ou plus ? Malgré leur gigantisme, si les pyramides d’Égypte elles-mêmes sont toujours là, bien en place, c’est possiblement parce qu’elles ont été construites en plein désert où il n’y a pas de circulation d’eaux souterraines et où la seule agression naturelle est celle des vents de sable, du moins jusqu’au moment de leur construction. Car il y a 11 000 à 5 000 ans, l’examen de dépôts sédimentaires alluviaux par des chercheurs du CNRS (mars 2021) [12] a révélé que le Sahara était vert et humide, avec la présence de lacs et de rivières. Les simulations numériques aussitôt entreprises (juin 2021) ont tout d’abord peinées à trouver un scénario climatique donnant des résultats en accord avec les données archéologiques. [13]

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Tout récemment (septembre 2023) selon une étude publiée par l’université de Bristol, le « Sahara vert » d’il y a 11 000 à 5 000 ans ne serait pas un accident climatique unique, mais un phénomène récurrent lié à la trajectoire orbitale de la Terre autour du Soleil : le phénomène de précession des équinoxes dont le cycle est de 21 000 ans. [14] Il y a 21 000 ans le Sahara aurait présenté le même aspect désertique qu’aujourd’hui. Il y a 9 000 ans il restait quand même une zone désertique réduite à environ un cinquième de l’étendue actuelle. Ce désert résiduel était la région Nord-Est, grosso modo la partie située dans l’Égypte actuelle et la partie Est de la Lybie. Pour la petite histoire, les pyramides d’Égypte seraient tout de même restée en zone désertique si elle avaient déjà existé à cette époque.

En tout état de cause, au-delà de toutes ces incertitudes et de la grande méconnaissance des civilisations passées, une chose est quand même à peu près certaine : Si une civilisation, même presque aussi vieille que l’Homo sapiens, avait impacté l’écosystème comme nous sommes en train de le faire, cela resterait visible dans l’étude des évolutions passées de la biodiversité et du climat. Mais peut-être reste-t-il encore des choses à découvrir ? Nous venons de voir que dans ce domaine de grandes avancées continuent de se produire.

Passons au volet consommation des ressources. Ce qui vient d’être développé a montré qu’il est illusoire d’espérer disposer de données fiables provenant de l’antiquité, et plus encore de la préhistoire. Les données chiffrées ne remonteront donc pas au-delà des deux derniers millénaires.

Dans le précédent billet 084, l’un de ceux consacrés aux trois versions du rapport Meadows (publiées de 1972 à 2004), il avait déjà été indiqué au sujet des limites forestières que :

« Avant l’avènement de l’agriculture, on comptait entre 6 et 7 milliards d’hectares de forêts sur la Terre. Il n’y en a plus aujourd’hui que 3,9 milliards si l’on prend en compte les 0,2 milliards d’hectares de plantations forestières. Plus de la moitié des pertes de forêts naturelles dans le monde se sont produites depuis 1950. Entre 1990 et 2000, la surface de forêts naturelles a diminué de 160 millions d’hectares, soit d’environ 4 %, ces pertes se situant principalement dans les tropiques ; la destructions des forêts tempérées s’est en effet produite bien avant 1900, lors de l’industrialisation de l’Europe et de l’Amérique du Nord. » L’épineuse question de l’agriculture en elle-même et plus largement des ressources alimentaires sera développée dans des billets ultérieurs. Idem concernant les ressources recyclables comme les métaux.

 

Passons au sujet des ressources en énergie ; il peut être introduit par une citation de Frederick Soddy : « Du point de vue énergétique, le progrès peut être regardé comme un contrôle et une maîtrise successive de sources d’énergie toujours plus proches de la source originelle. » [15] Par « source originelle » il convient de comprendre « énergie contenue dans l’échelle atomique de la matière ». Ainsi, l’accès à l’énergie des tribus primitives se limitait à l’apport direct au corps par la nourriture végétale et animale et par le rayonnement des feux. L’énergie apportée par la consommation de nourriture animale provient de celle stockée dans les autres animaux ou les plantes consommés par le gibier chassé. L’énergie stockée dans les plantes provient quant à elle du rayonnement solaire, via la photosynthèse. L’énergie rayonnée par le Soleil est pour sa part alimentée par le processus du fusion nucléaire par lequel sont créés l’hélium et les autres éléments chimiques. Le détail de cette « cascade » illustre bien que la nourriture animale constitue la source d’énergie la plus éloignée de la « source originelle ». L’énergie du feu provient pour sa part de la combustion de l’énergie solaire stockée dans le royaume végétal. Vint ensuite la maîtrise de l’énergie éolienne (bateaux à voile, moulins) et de l’énergie hydraulique (moulins à aube dans le lit des rivières). L’énergie éolienne est associée aux vents atmosphériques caractérisant le mouvement des molécules d’air atmosphérique, qui puissent lui-même son énergie dans la chaleur apportée par le rayonnement solaire. L’énergie hydraulique provient elle aussi du rayonnement solaire qui, via le phénomène d’évaporation et de pluie, apporte de grandes quantités d’eau sur les reliefs. La force de gravité induit ensuite l’écoulement de cette eau vers le niveau des mers, permettant la capture d’une partie de cette énergie potentielle, dans des roues à aube, par exemple, en ce qui concerne la technique la plus ancienne. Des technologies plus modernes de capture de ces énergies sont les éoliennes d’une part et les barrages d’autre part. Des technologies bien plus efficaces mais nécessitant en contrepartie des investissements plus lourds. Tout ceci constitue les sources d’énergie dites « renouvelables ». On peut y rajouter une catégorie à part, la géothermie, source d’énergie renouvelable dont l’origine n’est pas le rayonnement solaire, mais la chaleur interne de la Terre. Pour ce que l’on sait du passé lointain, les sources d’énergies renouvelables ont été les seules à avoir été utilisées par les humains jusque dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, il y a donc deux à trois cents ans : Comparativement, la présence de l’Homo sapiens sur Terre est aujourd’hui datée à environ 300 000 ans.

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Pour fixer les idées, les 250 dernières années d’une présence de l’Homo sapiens sur Terre de 300 000 ans représentent pour un homme de 80 ans à peu près les trois dernières semaines de sa vie. Recentrons-nous sur ce qui s’est passé au cours de ces trois dernières semaines en termes de consommation d’énergie. Précisons avant cela que les données de consommation mondiale d’énergie sont communément données en millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep ; une tep équivalent à 11 700 kWh). En 1800, la consommation mondiale était d’environ 300 Mtep. En 1950 elle était passée à environ 2 160 Mtep et en 2000 elle avait explosée à 9 240 Mtep (le seuil des 10 000 Mtep ayant été atteint seulement 4 années plus tard, en 2004). À ces dates, nous avons vu que la population mondiale était respectivement de 1 milliard, 2,5 milliards et 6 milliards (en 2000). Ainsi de 1800 à 1950, alors que la population mondiale a été multipliée par 2,5, la consommation d’énergie a été multipliée par 7,2 (ceci sur une période de 150 ans). Et de 1950 à 2000, la population mondiale a été multipliée par 2,4 et la consommation d’énergie a été multipliée par 4,3 (ceci sur une période de 50 ans). Comment imaginer que les choses puissent continuer longtemps à s’emballer de la sorte ? On peut d’ailleurs déjà remarquer que sur la période 1950 à 2000, l’augmentation de la consommation d’énergie par habitant a été presque deux fois moindre que ce qu’elle avait été sur la période 1800 à 1950. [16-17]

[1] « Une question de taille » d’Olivier Rey, 2014, éditions Stock ; pp. 18-19.

[2] https://www.hominides.com/les-origines-dhomo-sapiens-au-maroc-il-y-a-300-000-ans/

[3] https://www.herodote.net/La_population_mondiale_depuis_les_origines-synthese-2064.php

[4] https://www.nationalgeographic.fr/histoire/2023/02/en-amazonie-des-archeologues-decouvrent-les-vestiges-dune-mysterieuse-civilisation-pre-colombienne

[5] https://www.connaissancedesarts.com/monuments-patrimoine/archeologie/en-chine-decouverte-sur-une-pyramide-vieille-de-plus-de-4300-ans-de-rares-portraits-de-rois-dune-civilisation-legendaire-11176049/

[6] https://www.rtflash.fr/nous-n-avons-pas-encore-decouvert-toutes-grandes-civilisations-passe/article

[7] https://www.consoglobe.com/wp-content/uploads/2016/03/duree-de-vie-dechets.png

[8] https://stacker.com/environment/how-long-it-takes-50-common-items-decompose

[9] https://www.concreterecruiters.com/how-long-does-concrete-take-to-decompose

[10] https://www.francetvinfo.fr/monde/chine/chine-la-grande-muraille-restauration-d-une-merveille_5799935.html

[11] https://www.youtube.com/watch?v=iDN18vAbfro

[12] https://www.cnrs.fr/sites/default/files/press_info/2021-03/CP%20Le%20Maghreb%20a%20conserv%C3%A9%20des%20traces%20de%20la%20derni%C3%A8re%20P%C3%A9riode%20humide%20africaine.pdf

[13] https://www.inee.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/ete-comme-hiver-le-regime-de-pluie-lorigine-du-sahara-vert-il-y-9000-ans

[14] https://scitechdaily.com/the-saharas-secret-past-when-deserts-turned-green/

[15] « Richesse, Richesse virtuelle et Dette » de Frederick Soddy, 1926, traduction française par Jean-Paul Devos, édition Persée, 2015, pp. 57-58.

[16] https://www.econologie.com/consommation-mondiale-energie/

[17] https://www.encyclopedie-energie.org/consommation-mondiale-denergie-1800-2000-les-resultats/

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