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Économie scientifique
9 novembre 2019

032 - Les multinationales pharmaceutiques (partie 1 : Le marketing du naproxène).

Pages 23 à 25 de son ouvrage [1], Peter Gotzsche entre ainsi dans le vif du sujet :

En 1990 je soutins ma thèse de doctorat, intitulée Biais dans les études à double insu, [2] … J’avais analysé en profondeur 244 rapports d’études qui avaient comparé un AINS [médicament anti-inflammatoire non stéroïdien] à un autre. C’était la première fois qu’une classe entière de médicaments était étudiée en profondeur et j’ai découvert une quantité accablante de biais favorisant le médicament de comparaison. Les rapports des études se révélaient si peu fiables qu’il aurait fallu les considérer comme des publicités de médicaments et non comme des publications scientifiques.

J’avais aussi rassemblé des études, comparant un AINS avec un placebo, que j’avais utilisées pour vérifier s’il existait un effet anti-inflammatoire des AINS. Dans certaines études, les chercheurs avaient utilisé des bijoux (bagues) pour mesurer si les médicaments agissaient sur les articulations enflées des doigts de patients souffrant d’arthrite rhumatoïde. Ils n’avaient pas d’effet. J’ai alors cru que l’idée d’un effet anti-inflammatoire des AINS était un canular, comme tant d’autres mythes qui ont été inventés par l’industrie pharmaceutique en lien avec des médicaments ayant été mis sur le marché par la suite.

Il est très regrettable que les compagnies pharmaceutiques définissent pour nous la manière avec laquelle on doit concevoir les médicaments, parce que leurs manipulations sont colossales. À titre d’exemple, il est courant de parler de médicaments de deuxième sinon de troisième génération, comme les antipsychotiques de deuxième génération. Cela donne l’impression que ces médicaments sont meilleurs que les anciens, ce qui est rarement confirmé par des chercheurs indépendants et financés par le public, quand ils les comparent dans de grandes études randomisées.

032

Tout comme Astra, Astra-Syntex s’adonna elle aussi au marketing incompatible avec l’éthique. La dose normalisée de naproxène était de 500 mg par jour, mais on demandait aux vendeurs de persuader les médecins d’en utiliser 1 000 mg, à l’aide d’études doses-réponses rédigées par la compagnie. J’ai révisé de telles études pour ma thèse et elles étaient terriblement erronées. Dans les études sur le naproxène, les patients recevaient un placebo et deux ou trois doses différentes de naproxène dans un devis d’étude croisée où tous les patients expérimentaient chaque traitement selon un enchaînement aléatoire. Les doses variaient entre 250 mg et 1 500 mg par jour. Plusieurs des résultats n’étaient pas mentionnés…

Aucun des articles ne contenait quelque graphique qui aurait pu démontrer aux lecteurs ce qu’il y avait à gagner en recourant à une plus forte dose. On prétendait plutôt qu’il existait une relation linéaire significative entre la dose et l’effet, ce qui transmettait aux lecteurs le message selon lequel en doublant la dose on doublait l’effet. Cela frise l’escroquerie. J’ai présenté neuf courbes doses-réponses… Il n’y a strictement rien à gagner par le recours à de plus fortes doses. La différence entre 250 mg et 1 500 mg de naproxène est un facteur six en termes d’argent, mais seulement de 1 sur une échelle de la douleur de 0 à 10 ; alors que la plus petite différence de la douleur que les patients peuvent percevoir est d’environ 1,3. Cela signifie que la différence de 1 est en fait imperceptible pour le patient… En contrepartie, les mauvais effets augmentent de manière linéaire, ce qui signifie que doubler la dose entraîne le double de mauvais effets. Comme certains de ces effets sont très graves, soit un ulcère hémorragique ou un décès, par exemple, ces médicaments devraient être utilisés à la plus petite dose possible.

Pareilles manipulations des connaissances n’ont pour but que d’augmenter les ventes. Peu nombreux sont les médecins capables de faire une lecture critique des rapports de recherche et il se pourrait qu’ils aient oublié une partie des notions apprises en pharmacologie clinique…

Le marketing du naproxène est un exemple non équivoque du fait que les sociétés pharmaceutiques font passer les profits avant les patients et ne se préoccupent guère que leurs actions puissent augmenter les décès.

[1] Remèdes mortels et crime organisé – Comment l’industrie pharmaceutique a corrompu les services de santé ; Peter C. Gotzsche, traduction de Fernand Turcotte, 2015 ; Presses de l’université Laval ; pp. 23-25

[2] Gotzsche P. C., Biais in double-blind trials. Dan Med Bull, 1990, 37 : 329-336.

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