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Économie scientifique
11 juin 2023

100 - Le modèle d’évolution des civilisations de Thomas Wallace : Les différentes phases des sociétés humaines (modèle de Melko)

En préambule il convient de bien préciser la différence sémantique qui distingue les termes « civilisation » et « société ». À ce sujet on peut lire dans le Larousse qu’une civilisation est « l’ensemble des caractères propres à la vie culturelle, artistique, morale, sociale et matérielle d’un pays ou d’une société ». En d’autres termes une civilisation est la culture caractéristique que peut avoir développé un pays ou une société humaine particulière. Une société, quant à elle, définit un groupe humain organisé par des institutions, des lois, des règles (cf. le Larousse, également). Une société se définit donc par une unité de contexte socio-économique et une civilisation par une unité culturelle. Une civilisation est ainsi quelque chose de plus enraciné et durable qu’une société, car les lois, les institutions et les règles économiques tendent à évoluer plus facilement et rapidement que les mentalités humaines. Par la suite, dans le cas où la distinction qui vient d’être énoncée n’intervient pas dans le propos, les termes « civilisation » et « société » pourront être indifféremment utilisés. Pour ce qui est du terme « pays » il désigne le territoire occupé de manière souveraine par une communauté d’individus qui constitue pour le moins une même société, si ce n’est une même civilisation. Enfin, le terme « nation » désigne l’ensemble des êtres humains vivant dans un même pays.

Ces éléments de vocabulaire ayant été mentionnés, il est rappelé que pour construire son modèle, Thomas Wallace a unifié les différents modèles qui avaient été proposés par les spécialistes en évolution des civilisations en y rajoutant les paramètres liés à l’énergie de l’économie scientifique formulée par Frederick Soddy. Dans la triade qui constitue le titre principal de son ouvrage « Richesse, Énergie et Valeurs humaines », les aspects richesse et valeurs humaines constituaient la base des précédents modèles, Thomas Wallace y a ajouté le troisième constituant de la triade, l’énergie. [1]

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Des précédents modèles, Wallace reprend les différentes phases de développement des sociétés humaines du modèle proposé en 1969 par Matthew Melko (1930-2010) : la phase primitive, la phase féodale, la phase étatique et la phase impérialiste. [2] Melko a proposé son modèle dans le cadre d’une étude rétrospective qu’il a entrepris sur les travaux des principaux auteurs en études des civilisations que sont Oswald Spengler, Arnold Toynbee, Alfred Kroeber, Philip Bagby, Ruston Coulborn et Carroll Quigley. Il a en particulier proposé un modèle plus large avec pour objectif d’agréger les désaccords et les différences conceptuelles entre les visions de ces différents auteurs.

Commençons par examiner comment se définissent les quatre grandes phases de développement des sociétés retenues par Matthew Melko.

Une société primitive est une société communautaire fondée sur la famille, la tribu et le clan. La préoccupation première d’une société primitive est la lutte pour sa survie. Le groupe dans son ensemble (famille, tribu ou clan) garantissait une sécurité procurant les meilleures chances de survie. Il n’y avait ainsi généralement pas de distinction hiérarchique, pas de chef ou de subordonné. Tout reposait sur la confiance et la loyauté mutuelle qui liait les membres du groupe. Il n’y avait semble-t-il pas non plus de propriété privée, la nourriture et les biens étaient communs. Le commerce se limitait à d’occasionnelles opérations de troc entre groupes. Hormis cela, les groupes vivaient en autarcie, ne comptant que sur eux-mêmes pour satisfaire à leurs besoins de survie. Le commerce était donc quasiment inexistant. Enfin, le nombre de membres de ces groupes était insuffisant pour qu’il puisse s’y développer ce que l’on désigne du nom de culture. Les verbes ont été mis à l’imparfait car de nos jours, mis à part des tribus « hors réseau » de la forêt amazonienne ou de l’île de Bornéo et dans une moindre mesure les Pygmées et les Bushmen en Afrique, il n’y a plus guère de sociétés primitives sur la Terre.

Une société primitive passe en phase dite féodale lorsque l’organisation sociale passe de groupes fondés sur la famille, la tribu ou le clan à des ensembles plus nombreux constitués par des fiefs (d’où provient le mot « féodal »). Cette transformation sociale est associée à l’apparition d’une spécialisation des tâches, donc de la nécessité d’une monnaie. La spécialisation des tâches s’accompagne d’une hiérarchisation sociale. La sécurité du fief est assurée par une enceinte fortifiée (les châteaux-forts du Moyen-Âge) sur laquelle règne un seigneur disposant d’une garnison de soldats. Le seigneur règne également sur les terres de son fief, non pas en tant que propriétaire au sens où on l’entend dans notre ordre social moderne, mais en tant qu’attributeur de concessions, essentiellement aux membres d’une paysannerie qui assure la production de nourriture pour tous les résidents du fief, en particulier les soldats. La spécialisation des tâches et l’apparition d’une monnaie engendrent le développement du commerce, au sein du fief ou entre fiefs. Par ailleurs, un seigneur peut s’octroyer une position de dominance par rapport aux seigneurs d’autres fiefs ; on parle alors de vassalisation.

Si la transition de la phase primitive à la phase féodale peut être facilement décrite, comme nous venons de le faire, la transition de la phase féodale à la phase étatique est moins évidente à caractériser clairement. Nous avons vu que la phase féodale correspond à une société essentiellement agricole et artisanale. Ceux qui produisent sur le fief d’un seigneur ont droit à la protection assurée par ses soldats et son enceinte fortifiée. En France, nous connaissons bien le système féodal du Moyen-Âge tel qu’il a existé en Europe occidentale. Mais on peut se tourner vers l’histoire des peuples résidant de l’autre côté de la planète pour constater que l’on y parle aussi de la féodalité chinoise ou de la féodalité japonaise – même si l’histoire de cette dernière apparaît encore assez méconnue – sous des formes semblables à ce qui vient d’être décrit de la féodalité moyenâgeuse de l’Europe occidentale. Même si cela est un truisme, on peut dire que la phase étatique survient quand les critères d’une phase féodale ne sont plus réunis, c’est-à-dire quand la forme de gouvernance locale de seigneurs sur leur fief laisse la place à une gouvernance centralisée sur tous les fiefs d’un territoire plus large, le pays. La Chine féodale, par exemple, fut longtemps – et ce dès le VIIIe siècle avant notre ère - une confédération instable de petits seigneurs « groupés sous la suzeraineté nominale d’un roi ». Ce n’est que plus d’un millier d’années plus tard que l’on vit se former des unités provinciales. [3] Ce qui caractérise la phase étatique est la constitution d’un pouvoir central qui administre l’ensemble d’une société, avec la création de services publics et d’un système d’imposition pour les financer, d’une armée nationale, notamment. Ce pouvoir central peut être représenté par un roi – on parle alors « d’état royal » - ou par un gouvernement élu ou dictatorial.

La transition vers une phase étatique tend à accompagner la mise en place d’une forme moins rurale de société avec le développement du commerce et de villes où la sécurité est transférée d’une enceinte fortifiée voisine défendue par la garnison du seigneur du fief à une armée nationale défendant tout un pays.

La phase impériale correspond à une situation où une nation parvient à acquérir une suprématie militaire qui la place en position d’hégémonie sur d’autres nations. On parle alors de l’instauration d’un empire. Par exemple : l’Empire romain, il y a deux millénaires.

Les principales caractéristiques que nous pouvons retenir du modèle de Melko sont les suivantes :

Les phases d’évolution des sociétés ou des civilisations se déroulent toujours en suivant l’ordre : primitive, féodale, étatique, impériale.

À un moment donné une phase peut se désintégrer pour revenir à la phase précédente (impériale en étatique, étatique en féodale) à l’exception de la phase féodale qui ne reviendra jamais en une phase primitive. En d’autres termes une civilisation qui a atteint le stade de la spécialisation des tâches, de l’agriculture, du commerce ne reviendra jamais en une structure sociale de tribus vivant en autarcie, avec disparition du concept de propriété privée et ne comptant que sur elle pour sa sécurité et ses besoins vitaux.

À chaque phase, phase primitive comprise, la société peut se cristalliser dans un état figé dénommé « ossification ». Dans un tel état la société n’évolue plus, elle n’a plus de productivité cultuelle, plus d’essor.

Une phase impériale peut aussi directement s’effondrer en une phase féodale.

[1] « Richesse, Énergie et Valeurs humaines » de Thomas Wallace, 2009, traduction française par Jean-Paul Devos, édition Persée, 2017.

[2] Melko, Matthew ; The Nature of Civilizations ; Boston : Porter Sargent ; 1969.

[3] https://chine.in/guide/feodale_3666.html

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