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Économie scientifique
3 décembre 2020

058 - Le lobbying.

Le système électoral est souvent évoqué comme un marqueur, un gage, caractérisant une société démocratique, par opposition à un régime totalitaire. Il est vrai que dans ces pays dits démocratiques, la répression des opposants ne revêt généralement pas une forme aussi violente que dans les régimes réellement totalitaires (pas de torture, de flots de disparitions, d’emprisonnements sans jugement ou avec une mascarade de jugement). Jusqu’au début des années 70, les citoyens pouvaient avec raison penser que les élections leur donnaient le pouvoir de faire un choix politique distinct sur la manière dont le pays serait gouverné, entre une gestion plus ou moins sociale de l’économie, plus ou moins tournée vers l’intérêt général ou des intérêts privés, entre une plus ou moins grande distribution de la richesse produite vers les salariés ou les actionnaires. Depuis, l’establishment des pays occidentaux continue de tout faire pour laisser croire aux citoyens qu’il continue d’en aller de même alors qu’un tyrannie de la pensée unique économique a progressivement tissé dans les médias et dans la haute fonction publique une chape de plomb.

Pour contrecarrer cela, de plus en plus de voix s’élèvent pour alerter une population incrédule et perplexe (mais de moins en moins) sur le fait que le pouvoir politique n’est plus que l’exécutant d’un pouvoir financier, mondialisé.

Il est assez évident de se dire que, sur le plan économique, le futur est fait des choix financiers présents et que ceux qui sont en position d’effectuer ces choix dans le domaine des investissements privés sont ceux qui possèdent la monnaie.

058

Examinons de manière un peu plus précise comment les choses se sont mises en place aux États-Unis, tout d’abord en exposant un extrait du passage consacré à ce sujet par Thomas Wallace. En Europe la situation est à n’en pas douter semblable, quoique encore plus opaque car, à la différence des États-Unis, les sociétés de lobbying n’y ont aucune obligation légale d’être enregistrées. Il existe seulement au Parlement européen un registre sur lequel ces sociétés sont « invitées » à s’enregistrer. Ce registre comportait en 2019 environ 11 800 organisations tandis que Transparency international estimait « à environ 26 500 le nombre de lobbyistes présents de façon régulière à Bruxelles ». [1]

Voici donc ce que Thomas Wallace a écrit en 2013 au sujet du lobbying dans son pays : [2]

« … Parcourir le Grand Complot de la haute finance postérieur aux années 1970 révèle la genèse, les stratégies et les mécanismes ayant contribué aux crises économiques et financières subies par la Nation en 2007 et 2008. De vastes ressources financières permirent aux entreprises et aux individus les plus riches de la Nation de parvenir à une influence sans précédent sur le système étatique de gouvernance de la Nation et de le contrôler. Des collusions entre le monde de l'entreprise et celui de la politique ont réussi à abroger, modifier ou éliminer des réglementations postérieures à l'époque de la crise de 2008, des politiques publiques et des organismes de réglementation qui, durant des décennies, ont plus ou moins réussi à réguler les investissements industriels et à gérer les politiques fiscale et monétaire de la Nation.

[...]

La stratégie de la haute finance retint rapidement l'attention et fournit aux deux partis politiques un soutien financier à des niveaux sans précédent. La nature addictive d'importantes donations financières, disponibles sans les demander et capables de financer sa propre prochaine élection devint la force politique toute puissante, qui intensifia gravement le pouvoir et l'influence du milieu des affaires sur la législation. Au changement de siècle, les conséquences d'une forme créative de corruption légale ont gravement affecté et érodé l'éthique et l'utilité des institutions de gouvernance et, plus grave encore, ont pu gommer les gains économiques auxquels les classes moyennes étaient parvenues au cours des années 1950 et 1960. Par suite, en moins de quatre décennies, la Nation s'est retrouvée avec les mêmes déficiences socio-économiques et politiques qui caractérisèrent l'époque ayant conduit à la crise de 1929. Que l'on considère le mouvement d'extrême conservatisme des dernières décennies comme une bénédiction ou une malédiction, il a provoqué de vastes changements culturels systémiques qui ont eu un effet étouffant et corrosif sur la politique et les résultats socio-économiques de l'Amérique.

La genèse du Grand Complot de la haute finance fut formalisée à la fin des années 1960 et au début des années 1970 alors qu'en Amérique le milieu des affaires devenait de plus en plus inquiet de l'expansion d'une politique de régulation du gouvernement et de ses réglementations pour l'environnement et la sécurité des travailleurs. Ceci produisit un effort coordonné pour influencer la politique gouvernementale fédérale en initiant, à Washington, une plus grande présence du monde de l'entreprise et des affaires qui y sont liées, présence dont la constitution passa de 100 agences en 1968 à plus de 500 en 1978. De plus, le nombre de lobbyistes enregistrés s'accrût de 175 cabinets en 1971 à environ 2 500 en 1982…

[…]

Les grandes entreprises ont démontré que de vastes ressources financières et humaines, utilisant des compétences professionnelles spécialisées dans le droit, la finance publique, la comptabilité, la marketing et les médias, sont capables d'influencer efficacement le public et de réussir à développer et à entretenir un soutien politique des deux partis. En 1995, une initiative couronnée de succès, dans le cadre législatif, le Private Securities Litigation Reform Act (Loi de réforme pour les contentieux sur les placements privés) reçut un soutien bipartisan ; la loi avait pour objet de réduire les poursuites judiciaires de titulaires d'actions contre des entreprises qui auraient publiées de fausses informations. Cette démarche était intégrante d'un effort continu visant à réduire la réglementation et le contrôle d'activités commerciales d'entreprises, pouvant être inconvenantes mais profitables.

De ce fait, les entreprises du pétrole, de la banque, de l'investissement, des télécommunications, de l'automobile et de la chimie arrivèrent à une position de pouvoir où le milieu des affaires peut gravement influencer la nature, l'éthique et la vitalité de l'économie de la Nation. Il est devenu habituel pour les lobbyistes de dépenser, comme cela est officiellement rapporté, plus de 3 milliards de $ par an, somme qui se trouve substantiellement augmentée par les canaux de financement officieux.

Par ailleurs, la haute finance a ajouté le concept de « groupe de réflexion » à son arsenal d'outils d'influence, conçus pour manipuler l'opinion politique américaine et la politique publique, ainsi que pour doter les politiciens et les experts de supports structurés de débat, formulés par des groupes de réflexion de type universitaire, ainsi que par d'anciens élus politiques et leurs équipes. Ainsi, durant les années 1960 et 1970, de riches individus, des fondations familiales et des entreprises créèrent des machines de propagandes conservatrices se présentant comme des organisations de recherche pseudo-universitaires contribuant à un message conservateur biaisé destiné à divers organes de presse publique. De tels groupes de réflexion comprennent l'American Enterprise Institute et l'Heritage Foundation, supportés financièrement par des familles fortunées bien connues comme Coors, Mellon et Kock. De tels groupes de réflexion de droite et médias portés par les mêmes idées, tels que le Public Interest et l'America Spectator, combinés aux efforts menés par les lobbyistes de Washington, disposant tous d'un financement illimité, sont devenus un force dominante pour forger l'opinion publique et manipuler la politique américaine.

Ainsi, de grandes entreprises, de riches individus et des groupes d'intérêts particuliers financent un éventail d'efforts concernant des questions, des politiques et des objectifs sociaux et économiques pour gagner les esprits et le soutien politique d'élus, de faiseurs d'opinion et d'électeurs. Une prolifération de messages soigneusement sélectionnés et magistralement construits est créée et distribuée, parfois sous l'apparence d'une éducation impartiale du public mais, le plus souvent, sous la forme d'un prosélytisme visant à déplacer l'opinion publique et la dynamique politique vers des objectifs conservateurs définis en faisant souvent appel à une information incomplète, trompeuse ou imprécise. Ces efforts sont des exemples infâmes d'une perte d'intégrité intellectuelle et d'éthique à son paroxysme, et sont pourtant souvent tolérés, alors qu'ils prêchent la haine dans une démocratie… »

Par ailleurs, dans l’ouvrage « Halte à la toute-puissance des banques » cité dans le précédent billet n°56, on peut lire : [3]

« … à Washington, en 2010, on compte pour chaque élu, trois lobbyistes de haut niveau payés par le système bancaire. Thomas Friedman, journaliste du New York Times peut ainsi écrire : "Aujourd’hui, le Congrès est le forum de la corruption légale. En exploitant les informations du site Opensecrets.org, une association de consommateurs a calculé que le secteur des services financiers, immobilier compris, a contribué à hauteur de 2,3 milliards de dollars au financement des campagnes électorales de niveau fédéral entre 1999 et 2010. C’est plus que les contributions combinées des secteurs de la santé, de l’énergie, de la défense, de l’agriculture et des transports. Pourquoi la commission de la Chambre des représentants sur les services financiers compte-t-elle soixante et un membres ? Parce que bien des élus veulent être en mesure de vendre leurs votes à Wall Street." En Europe, où les lobbyistes n’ont pas l’obligation légale de se déclarer à Bruxelles, le problème est moins visible. »

[1] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/05/23/petit-guide-de-lobbyisme-dans-les-arenes-de-l-union-europeenne_5466056_4355770.html

[2] « America is Self-Destructing », Thomas Wallace, 2013 ; Author House, Bloomington, Indiana ; pp. 297-302.

[3] Halte à la toute-puissance des banques ! ; Bernard Lietaer, Christian Arnsperger, Sally Goerner et Stefan Brunnhuber ; 2012 ; p. 187.

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